Santé : que retiennent-ils de 2024?
L’actualité en santé a été foisonnante en 2024. Quels dossiers ont retenu l’attention des personnes qui sont au cœur du réseau? Nous leur avons posé la question!
L’année tire à sa fin… l’heure des bilans a sonné! Sur le plan de la santé, que nous restera-t-il de 2024? Quels ont été les bons et moins bons coups réalisés? Les évènements inattendus? Surtout, que peut-on espérer pour la suite? Des actrices et acteurs du réseau partagent avec nous leurs points de vue.
Geneviève Auclair, M.D.
Médecin de famille, Inukjuak
Le bon coup de l’année :
Cette année, le Nunavik a atteint un sommet inégalé d’effectifs permanents en médecine familiale! On y compte maintenant plus de 55 médecins omnipraticiens détenant un PREM [plans régionaux d’effectifs médicaux]. La moyenne des 5 années précédentes était d’une quarantaine de médecins permanents, donc la hausse semble significative. Notre région a aussi été l’une des rares à pourvoir tous ses postes alloués au PREM 2024 en médecine familiale.
L’évènement qu’on préférerait oublier :
Ce n’est pas qu’on veut l’oublier, mais plutôt qu’on aurait grandement préféré qu’il en soit autrement. En 2023, l’incidence de la tuberculose au Nunavik dépassait déjà les 500 cas par 100 000 habitants. C’est 1 000 fois plus que pour les personnes non autochtones nées au Canada. Même si l’année n’est pas terminée, on sait déjà que 2024 fracassera ce taux, s’approchant des pays avec les incidences les plus élevées au monde.
La surprise de l’année :
Grâce à une collaboration entre deux organismes autochtones, Qavvivik et le Centre de santé autochtone Tiohtià:ke, la toute première clinique destinée aux Inuit1 à Montréal a ouvert ses portes cette année. J’ai le privilège de coordonner un groupe de médecins – dont je fais partie – qui s’y rendent tour à tour. Qavvivik est un organisme créé par et pour les Inuit vivant au sud de leurs territoires traditionnels, et qui vise à améliorer leur santé. Ses activités incluent entre autres du soutien aux personnes qui reçoivent des soins de longue durée dans la grande région métropolitaine et l’apport en aliments traditionnels aux femmes qui séjournent au Centre de naissances du CUSM.
Votre souhait pour 2025 :
J’aimerais voir des résultats concrets pour réduire les iniquités d’accès aux soins de santé. Au Nunavik, cela se traduirait par toute mesure qui permettrait à la patientèle de recevoir plus de soins délivrés par du personnel de la santé inuit, et plus d’investigations localement, telles que des radiographies ou des tests de laboratoire, sans avoir à se déplacer sur des centaines de kilomètres. Régionalement, l’accès à la tomodensitométrie permettrait aussi de réduire les transferts de personnes sur des milliers de kilomètres.
1 Le terme « Inuit » est le pluriel du terme « Inuk » et désigne plusieurs personnes en langue inuktitut.
Gilbert Boucher, M.D.
Urgentologue, Montréal
Le bon coup de l’année :
La poursuite de l'implantation, à travers le Québec, de la paramédecine communautaire. Grâce à celle-ci, à la suite d’un appel au 9-1-1, des équipes de paramédics, soutenues au téléphone par des infirmières et parfois des médecins, vont évaluer les personnes âgées chez elles et, lorsque nécessaire, organisent des investigations ou des traitements sans qu’un transport à l’urgence soit requis.
L’évènement qu’on préférerait oublier :
Sans conteste, il s’agit du gel d’embauche et des coupes de 1,5 milliard de dollars dans le réseau de la santé, annoncés en novembre. Le déploiement ou l’amélioration de plusieurs projets ou programmes ont été freinés.
La surprise de l’année :
L’arrivée plus tardive qu’à l’habitude du virus de la grippe, en décembre 2024.
Votre souhait pour 2025 :
Souhaitons-nous collectivement que le moins de patients possible repartent des urgences sans avoir été vus par un médecin.
Claudia Houle
Patiente partenaire et nutritionniste, Montréal
Le bon coup de l’année :
L’implication grandissante de patients partenaires dans le réseau de la santé, ce qui démontre que leur apport est de plus en plus reconnu! En faisant part de leurs constats, mais aussi d’idées innovantes – bien souvent d’une simplicité déconcertante –, les patients partenaires contribuent à améliorer concrètement le réseau. Ils collaborent à des travaux ministériels, à ceux de l’INESSS, aux comités du CMQ, et bien plus encore.
L'évènement qu’on préférerait oublier :
Ce serait cette tendance qu’ont certaines instances du réseau à vouloir désigner un « coupable » afin d’endosser la responsabilité des échecs du système de santé. Toute l’énergie déployée pour se défendre de ces attaques envers l’un ou l’autre groupe de professionnels devrait plutôt servir à trouver des solutions aux enjeux soulevés, qui sont bien réels. Sans grande surprise, les patients développent un certain cynisme à l’égard du réseau et sont à leur tour pointés du doigt comme faisant partie du problème. En fin de compte, qui gagne? Personne!
La surprise de l’année :
Le programme de médecine de l'Université de Montréal a subi cette année sa première refonte depuis 1993 et plusieurs patients partenaires ont participé à la révision de son contenu. Une patiente partenaire est maintenant coresponsable du cours Identité professionnelle du médecin et une autre, du cursus sur la douleur et la souffrance. Voilà un exemple concret et inspirant de l’intégration des expertises patients.
Votre souhait pour 2025 :
Que l’on cesse de voir la Santé (avec un grand S) comme étant compartimentée, alors qu’il s’agit d’un tout. Ainsi, il faut se questionner sur ce que veulent vraiment les gens. Est-ce d’avoir un médecin de famille? Ne serait-ce pas plutôt d’avoir facilement accès à des soins et services quand le besoin s’en fait sentir? De vivre dans des environnements favorables à la santé, avec des moyens financiers permettant de se loger et de se nourrir adéquatement? D’avoir les connaissances nécessaires pour s’impliquer activement dans leur santé? À mon avis, la prévention et l’accès aux soins sont directement liés.
Sylvie Tremblay
Directrice générale, Regroupement provincial des comités d’usagers (RPCU)
Le bon coup de l’année :
L’autorisation des demandes anticipées d’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives constitue une avancée importante pour la population québécoise, notamment pour les celles souffrant de la maladie d’Alzheimer.
Coup de chapeau :
Cela ne fait pas partie des catégories officielles, mais je tiens à mentionner l’excellente collaboration que nous avons tissée avec le Collège des médecins ces dernières années. Grâce à nos rencontres bilatérales, nous travaillons sur des dossiers communs, au bénéfice des usagers. De plus, cela fait 3 ans que le président du CMQ assiste à notre congrès annuel. Réciproquement, pour la première fois en 2024, le RPCU fut invité comme observateur à l’assemblée générale annuelle du Collège!
L’évènement qu’on préférerait oublier :
Il s’agit d’un évènement qu’on ne pourra malheureusement pas oublier, alors je parlerais davantage d’un « Prix citron ». Je l’attribue aux coupes de 1,5 milliard de dollars qui ont été annoncées en santé, dans un contexte où l’on crée Santé Québec. On risque fort de sabrer dans les services directs aux personnes vulnérables (maintien à domicile, individus et groupes marginalisés).
La surprise de l’année :
L’adoption du projet de loi no 67 est une agréable surprise et un gain pour la collaboration interprofessionnelle. L’élargissement des pratiques (notamment pour les psychologues et les orthophonistes) est de bon augure pour une réelle interdisciplinarité au sein du réseau. Il faut toutefois veiller à protéger le caractère public des services, si l’on veut que ce nouveau modèle porte ses fruits.
Votre souhait pour 2025 :
Je nous souhaite de revenir à la base, c’est-à-dire à des soins et services de proximité et de première ligne. C’est ce que la population demande. Pour des soins plus humains, misons sur les GMF, les CLSC, les soins à domicile et les services à la communauté. Au-delà d’un souhait, c’est mon cri du cœur!
Chantal Vallée, M.D.
Spécialiste en médecine interne, Longueuil
Le bon coup de l’année :
Le rapport du groupe de réflexion du CMQ sur les interruptions de grossesse et les stérilisations imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit du Québec. Comme femme, mère et médecin, c’est un sujet qui me tenait particulièrement à cœur. De le voir discuté, réfléchi, puis incarné dans un plan d’action mettant la sécurisation culturelle au cœur de nos soins est un pas important dans la bonne direction. Le premier d’une série de plusieurs pas…
L’évènement qu’on préférerait oublier :
La décision de réduire le financement de l’enseignement supérieur dans nos universités, particulièrement au moment où nous accueillons des cohortes record dans nos facultés de médecine pour faire face aux défis de l’accès aux soins. Jamais la pression clinique n’a été aussi grande, jamais la demande pour accueillir des stagiaires et des résidents en stage n’a été aussi forte. Le soutien à la formation doit être une priorité, pour garantir des soins de qualité, innovants, à la fine pointe des connaissances actuelles.
La surprise de l’année :
L’éclipse solaire. En plus de 20 ans de pratique, jamais un instant ne m’a paru si… beau, intense et solennel. Dans l’hôpital, tout s’est arrêté quelques minutes : des patients, leurs proches et des membres du personnel sont tous sortis ou se sont postés à la fenêtre pour profiter de ce moment impressionnant. Cette communion m’a profondément touchée.
Votre souhait pour 2025 :
En fait, j’en ai 2! Le premier serait que nos dirigeants aient la sagesse d’écouter ceux et celles qui sont sur le terrain et qui travaillent chaque jour à dispenser les meilleurs soins possibles à la population. Qu’ils les écoutent et tiennent davantage compte des réalités des différents milieux de soins. Le second serait qu’on franchisse un immense pas vers des soins écoresponsables en limitant le gaspillage, les déchets, et en réévaluant la pertinence de certains de nos actes.
René Wittmer, M.D.
Médecin de famille, Montréal
Le bon coup de l’année :
Je trouve que le Collège des médecins s’est démarqué par des prises de position audacieuses que je soutiens pleinement. Son engagement contre le racisme systémique et les inégalités dans le réseau de santé, ainsi que sa défense d’un système public accessible à tous, reflètent sa volonté de protéger le public et de promouvoir un système de santé plus équitable et inclusif.
L’évènement qu’on préférerait oublier :
Pour ma part, ce sont les publicités diffusées par les fabricants de sémaglutide (Ozempic) durant les Jeux olympiques de Paris. Associer un médicament antidiabétique à un évènement sportif a véhiculé des messages au mieux discutables. Il s’agit d’un exemple parlant de la prolifération du marketing direct auprès des consommateurs, un phénomène qui me préoccupe grandement.
La surprise de l’année :
Lors de l'accueil des nouvelles cohortes du programme d'études médicales de l'Université de Montréal cette année, presque tous les étudiants et étudiantes se sont procuré une trousse de naloxone, témoignant de leur engagement envers la responsabilité sociale et la lutte contre les surdoses. Ce geste me remplit d'espoir.
Votre souhait pour 2025 :
J’aimerais voir se concrétiser un plan de santé ambitieux et concerté, où la pertinence serait au cœur des priorités pour améliorer la santé de la population et l'accessibilité aux soins. Inspiré par les engagements de la Déclaration de Montréal sur les soins de santé pertinents, ce plan rassemblerait toutes les parties prenantes afin de réduire la surmédicalisation, la surutilisation des traitements et le surdiagnostic.