Médecins et médias sociaux… pour le pire et le meilleur!
Ils vulgarisent leur savoir, donnent l’heure juste en santé et nous font même découvrir leur quotidien. Qu’est-ce qui motive ces médecins québécois à faire œuvre utile sur les réseaux sociaux et comment évitent-ils les écueils? Rencontre avec quatre figures bien connues de ces plateformes.
Alain Vadeboncoeur, urgentologue
« Alors, comment s’est passée votre semaine ? », c’est ainsi que le Dr Alain Vadeboncoeur s’adresse tous les lundis aux membres du « Club des 150 minutes », un groupe qu’il a fondé sur Facebook pour motiver les gens à bouger. Présent autant dans les médias traditionnels que dans les médias sociaux, il est également très actif sur X (anciennement Twitter), où il exprime son point de vue sur l’actualité et vulgarise des contenus scientifiques. « Comme médecin, on ne peut pas négliger ces canaux d’information et de communication », soutient-il. Le Dr Vadeboncoeur apprécie notamment les échanges et les joutes d’idées rendues possibles : « Je peux exposer une affirmation aux yeux du monde et voir les réactions. C’est une façon de valider, de tester ou de renforcer certaines idées. » Les communautés plus spécialisées sur X sont également des sources d’information précieuses : « Je peux ainsi entrer en contact avec les plus grands experts au monde dans mon domaine. J’apprends énormément. »
Michaël Bensoussan, gastroentérologue
Pour le Dr Michaël Bensoussan, qui intervient principalement sur Facebook, le rôle des médecins dans les médias sociaux, comme dans les médias traditionnels, est de transmettre de l’information au public. « Je communique non pas comme un citoyen, mais comme un médecin. Ma préoccupation est d’être le porte-parole de ce que dit la science, au moment où je me prononce. » Aussi chroniqueur à la radio, le Dr Bensoussan apprécie le rapport plus personnel, plus ciblé, qu’offrent les médias sociaux auprès d’auditoires difficilement joignables par les médias traditionnels. C’est également une vitrine pour mettre en valeur son équipe et plus largement son hôpital (Charles-Lemoyne), ainsi que des causes qui lui tiennent à cœur. « On peut ainsi attirer la lumière sur des endroits pas suffisamment éclairés », explique celui qui fait un travail de sensibilisation sur divers sujets, notamment la maladie cœliaque et l’autisme.
Joseph Dahine, intensiviste
Outre le volet pédagogique, c’est surtout l’angle humain qu’a privilégié le Dr Joseph Dahine dans ses vidéos sur TikTok, dont la popularité a fait boule de neige durant la pandémie. « Je voulais démystifier le réseau de la santé, qui peut être opaque pour un citoyen. C’est important de montrer que ce sont de vraies personnes qui prennent soin d’autres humains », explique-t-il. En plus de faire rayonner le travail de son équipe au CISSS de Laval, ses publications ont servi à remonter le moral des collègues. « Les gens ne vont pas bien dans le réseau. Il y a beaucoup de dépression, de burnout. Grâce aux réseaux sociaux, j’ai pu constater que je n’étais pas seul à trouver que ça n’allait pas bien. » C’est en mettant de l’avant les relations interpersonnelles que le Dr Dahine s’évertue à changer la perspective des gens sur le réseau de la santé et à valoriser tant la profession médicale que le travail interdisciplinaire.
Michelle Houde, résidente en santé publique et médecine préventive
Reconnue pour ses vidéos dynamiques et authentiques, la « MD colorée » (son pseudonyme sur TikTok et Instagram) perçoit les réseaux sociaux comme un outil de communication incontournable en médecine préventive. Afin de transmettre de l’information médicale qu’elle veut la plus rigoureuse possible, elle n’hésite pas à adopter une approche ludique et parfois même plus intime, rejoignant ainsi un public plus jeune et moins féru de science. Que ce soit la santé sexuelle ou la santé mentale, aucun sujet n’est tabou pour la « MD colorée », même ceux qui peuvent susciter une certaine gêne chez les adolescents. Sa vidéo portant sur l’examen gynécologique a d’ailleurs atteint un million de vues! Elle-même surprise par ce succès, la résidente y voit le signe que son contenu répond à un réel besoin d’information.
Crédibilité et sens critique
À une époque où discerner le vrai du faux n’a jamais été aussi ardu, combattre la désinformation devient la principale mission des médecins sur les médias sociaux. « Depuis toujours, les gens veulent comprendre leur santé. Si ce ne sont pas des professionnels du domaine qui transmettent le message en s’appuyant sur des sources fiables et avec rigueur, d’autres vont prendre la place », croit la Dre Houde. Selon elle, les médecins doivent demeurer présents sur ces réseaux pour assurer au public un accès à de l’information de qualité. « On a besoin d’une diversité de contenus, mais aussi d’une diversité d’approches », ajoute celle qui encourage les professionnels à se lancer.
« Toutes les opinions sont représentées sur les médias sociaux, et elles sont souvent portées par un grand nombre de personnes, soutient le Dr Vadeboncoeur. C’est assez difficile pour les gens de faire la part des choses. » La tendance à accorder sa confiance à toute personne se disant « spécialiste » sur les médias sociaux représente un danger pour le public. Et même lorsqu’il s’agit de médecins, la prudence est de mise. « Certains médecins américains et français, très exposés par les réseaux sociaux, ont contribué massivement à la désinformation durant la pandémie », poursuit-il.
Le Dr Bensoussan abonde dans le même sens. Il croit d’ailleurs qu’une cote de crédibilité devrait être attribuée, par des scientifiques, aux médecins qui sont sur les médias sociaux.
« Dans notre société très clivante, notre bien commun est le fait scientifique. À partir du moment où des médecins profitent de leur notoriété sur les médias sociaux pour aller galvauder le fait scientifique, on perd notre repère commun. »Dr Michaël Bensoussan, gastroentérologue
Pour lui, la science doit demeurer loin de toute considération sociale ou politique. Elle exige aussi une dose d’humilité, celle d’admettre parfois qu’il existe encore des zones grises, même en médecine.
Leur meilleur conseil à celles et ceux qui puisent leur information en santé sur les réseaux sociaux? Conserver un sens critique aiguisé en tout temps, tant à l’égard du contenu que de la crédibilité du messager. « Il faut développer des sources de confiance, suggère Alain Vadeboncoeur. Cela demande du temps. »
79 % des adultes québécois utilisent les réseaux sociaux
42 % en font leur source d’information principale (nouvelles et actualités)
2 h 50 min sont consacrées à ces réseaux en moyenne par jour
Peut-on tout dire?
Au pays de l’instantanéité, un dérapage est vite arrivé. Pour le Dr Bensoussan, le piège à éviter pour les médecins est de se prononcer sur des thèmes que l’on ne maîtrise pas. « J’évite de parler de sujets qui sont trop loin de mes préoccupations de gastroentérologue hospitalier, explique-t-il. Car trop de gens pourraient prendre ma parole de médecin comme une parole d’évangile. »
Même son de cloche pour le Dr Dahine : « Quand on est sur les médias sociaux, les journalistes nous contactent et ne font pas la distinction entre les spécialités en médecine. Pour eux, un médecin sait tout. Pour ma part, si je ne suis pas l’expert, je ne vais pas m’improviser expert. » Quant au bon ton à adopter, c’est avec l’expérience et le pif qu’il a fini par le trouver. « Heureusement, je n’ai jamais eu à effacer une publication ou à me rétracter », ajoute-t-il.
Pour la Dre Houde, la seule ligne éditoriale qu’elle s’est fixée est : « être vraie »
« J’ai réalisé qu’en parlant de moi, ça déculpabilise les gens et le message passe mieux. Par exemple, lorsque je parle d’acné, je le fais en montrant mon visage au naturel, sans fond de teint. C’est gênant, mais je pense que c’est important. Ça contribue à lutter contre la stigmatisation. »Dre Michelle Houde, résidente en santé publique et médecine préventive
C’est avec cette approche intime et authentique qu’elle a aussi abordé d’autres enjeux qui la touchent directement, comme les troubles anxieux. La réponse du public a été extrêmement positive.
Selon Alain Vadeboncoeur, il n’existe pas de sujet complètement tabou, mais après avoir parfois suscité des « réactions monstrueuses » sur des sujets comme la pandémie, l’envie de plonger n’est plus toujours au rendez-vous, confie-t-il. « À un moment donné, si j’ai dit 12 fois ce que j’avais à dire, je ne vais plus le répéter. Il y a une limite pour certaines personnes à accepter certains faits . Ça ne me dérange pas d’argumenter, mais il faut que l’autre soit aussi ouvert à se remettre en question. » Pourtant, il est le premier à admettre éprouver un certain plaisir à répondre à la confrontation sur les médias sociaux. « C’est mon côté obstineux, ça stimule ma dopamine. Je n’ai pas beaucoup de dépendance dans la vie : celle-là et le café probablement », ajoute avec humour celui qui affirme avoir reçu quelque 10 000 messages haineux au fil du temps.
Le Dr Dahine ne répond généralement pas aux détracteurs, mais il le fait à l’occasion, lorsqu’il pense que cela peut servir à faire passer un message. « Parfois, des gens vont m’écrire : Au lieu de faire des TikTok, allez donc travailler! Les gens ne comprennent pas qu’on n’est pas en train de faire des vidéos au détriment des patients. Bref, ce n’est pas toujours évident d’être compris. »
Échanges virtuels, retombées réelles
Au-delà des commentaires récoltés et du nombre de partages, les impacts générés par une publication sur les médias sociaux sont parfois insoupçonnés.
« On a recruté trois infirmières au CISSS de Laval via TikTok. Les gens trouvaient qu’on avait l’air d’une belle équipe et nous demandaient si des postes étaient disponibles », avoue avec fierté le Dr Dahine.
Durant la pandémie, son mouvement de « vague de reconnaissance » sur Twitter a également eu des retombées inattendues. « >C’était après la 3e vague. On était tous brûlés. J’ai décidé d’aller voir des collègues et de leur demander : Toi, pourquoi es-tu encore ici? Pendant plus de 100 jours, j’ai publié une réponse tous les jours. » Puis est venue l’idée de créer un médaillon pour honorer le personnel qui avait prêté main-forte dans les CHSLD de Laval au printemps 2020. « Quand ils ont reçu le médaillon, les gens disaient : Je pensais qu’on avait oublié [ma contribution]. Ils ont vécu des choses tellement difficiles durant la pandémie. Ça ne s’oublie pas. » Le Dr Dahine a lui-même été surpris de l’impact de ce geste :
« Je suis intensiviste, je sauve la vie des gens, et pourtant je n’ai jamais senti avoir eu autant d’impact qu’avec un "banal" médaillon qui découlait d’une série de tweets. »Dr Joseph Dahine, intensiviste
Pour la Dre Houde, les discussions humaines et sincères qui découlent de ses interactions sur les médias sociaux lui donnent le sentiment de faire une différence. « Cette semaine, alors que j’étais dans un commerce, une jeune fille de 15 ans qui m’avait reconnue m’a dit d’emblée : Vous me donnez confiance en moi. C’est le plus beau compliment que je pouvais recevoir. » Et c'est certainement la plus belle des motivations à continuer ce travail de communication et de vulgarisation sur les médias sociaux, malgré le pire... pour le meilleur!
Médecins et médias sociaux : les règles d’or
- Toujours s’identifier clairement (son nom et sa spécialité3);
- Avant d’émettre une opinion sur un sujet touchant à la santé, faire état du consensus (ou non) sur cette question dans la communauté médicale;
- Lorsqu’on diffuse de l’information sur la santé, mentionner que celle-ci est de nature générale et non en lien avec l’état d’un patient en particulier, et qu’elle ne remplace pas l’évaluation nécessaire à chaque cas;
- Éviter toute forme de publicité, de promotion de produits, de concours ou de sollicitation de clientèle (et partager avec discernement des liens vers des sites Web, en s’assurant qu’ils ne sont pas de nature commerciale);
- En cas de désaccord ou lors de débats d’opinion, s’abstenir de dénigrer ses collègues ou d’autres professionnels. Éviter toute déclaration dépréciant un service ou un bien dispensé par un autre médecin ou d’autres professionnels;
- Préserver en tout temps son indépendance professionnelle, en évitant notamment toute forme de dirigisme (orienter vers un fournisseur de services ou de produits);
- S’assurer que les renseignements médicaux publiés ne donnent pas l’impression qu’on cherche à établir une relation thérapeutique avec des internautes;
- Respecter le secret professionnel et s’abstenir de divulguer tout renseignement confidentiel obtenu dans l’exercice de sa profession ;
- Toujours garder en tête que les activités dans les médias sociaux constituent un prolongement des activités professionnelles.
Les médecins qui désirent obtenir conseil sur leurs obligations déontologiques en lien avec une situation particulière peuvent s’adresser directement au CMQ par téléphone ou par courriel.
- info@cmq.org
- 514 933-4441
- 1 888 MÉDECIN (633-3246)
Le CMQ est aussi dans les médias sociaux!
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