Médecins et secret professionnel : ce que vous devez savoir

Lisez le compte rendu de cette édition des Rendez-vous du Collège.

Une nouvelle édition des Rendez-vous du Collège s’est tenue le 19 septembre 2024. Quelque 2 000 cliniciens, résidents, externes et étudiants en médecine s’y étaient inscrits et des dizaines de questions ont été formulées par clavardage par les personnes participantes.

Les objectifs du webinaire

Si le sujet abordé a suscité tant d’intérêt chez les cliniciens participants, c’est parce qu’il permettait de mieux saisir l’importance du secret professionnel, socle de la relation de confiance entre le patient et son médecin, mais notion somme toute complexe.

En présence d’experts légaux et médicaux, mais aussi d’une représentante des droits des usagers, ce webinaire a examiné cette notion d’importance sous l’angle de la déontologie, de la discipline, de l’inspection et de la remédiation. C’est la journaliste Emmanuelle Latraverse qui agissait de nouveau à titre d’animatrice du Rendez-vous.

Le secret professionnel expliqué

Me Linda Bélanger, directrice des affaires juridiques au CMQ, et Me Élisabeth Allard, conseillère principale à la Direction des enquêtes du Collège, sont d’abord venues dissiper les zones grises du secret professionnel.

C’est dans cette notion que s’ancre la relation de confiance qui s’établit entre un médecin et sa patientèle. À travers le serment professionnel qu’il prête à son entrée dans la profession, le médecin s’engage à ne pas révéler ce qui lui est confié lors d’une consultation ni à divulguer les informations relatives à l’identité de ses patients, à leurs confidences, aux constats émanant de leur état de santé, aux résultats de leurs examens, au contenu de leur dossier clinique, etc. L’article 20 du Code de déontologie des médecins spécifie d’ailleurs tout ce que doit faire le médecin afin de préserver le secret professionnel.

Car le secret professionnel est bénéfique aux deux parties prenantes d’une relation thérapeutique : c’est entre autres grâce à lui que le médecin peut poser un diagnostic et établir un plan de traitement personnalisé; c’est aussi grâce à lui que le patient arrive à donner un consentement libre et éclairé aux soins de santé qui lui sont proposés.

Il est somme toute important de spécifier que le secret professionnel prévaut même quand le patient décède et que ses proches consentent à sa levée. Il s’agit là d’un principe immuable, à moins d’une entente contraire écrite, préalable et notariée.

Cela dit, des cas d’exception permettent la levée de bonne foi du secret professionnel et immunisent – depuis le 1er juillet 2024 – les médecins contre les poursuites judiciaires. On a qu’à penser au risque sérieux de mort ou de blessures graves, lié à une disparition ou à un acte de violence, et visant à protéger une personne ou un groupe de personnes identifiable, comme en fait foi l’article 60.4 du Code des professions.

Pour le reste, Me Bélanger et Me Allard ont tenu à rappeler que le secret professionnel doit toujours être concilié au jugement clinique du médecin et à la collaboration multidisciplinaire. « Les médecins gagnent à exercer souvent leur muscle de réflexion déontologique », ont-elles conclu. Elles ont aussi spécifié qu’en cas de doute, ils avaient accès à Info Déonto, un service-conseil du CMQ accessible en semaine, par téléphone ou via deonto@cmq.org, entre 8 h 30 et 16 h 30.

Info Déonto

Service-conseil du CMQ accessible en semaine, par téléphone ou via deonto@cmq.org, entre 8 h 30 et 16 h 30

Le point de vue des usagers

Mme Sylvie Tremblay, directrice générale du Regroupement provincial des comités des usagers (RPCU), est ensuite venue aborder la question sous l’angle des patients. À ce jour encore, à ses yeux, des zones floues subsistent entre les notions de confidentialité et de droit d’accès aux dossiers cliniques : il incombait donc de les dissiper afin que persiste et se solidifie le lien de confiance entre la patientèle et le corps médical.

Selon madame Tremblay, la vigilance des praticiens doit être renforcée, surtout en cette ère des réseaux sociaux, où tout est partagé au plus grand nombre à la vitesse de l’éclair. Elle exhorte les médecins à porter attention aux « jasettes de corridors » ou aux échanges avec les patients dans les chambres à lits multiples, où peuvent s’ébruiter des données confidentielles. Même chose pour les dossiers laissés au vu et au su de tous, sur les bureaux ou écrans d’ordinateur.

« Le droit à la confidentialité et le droit de consentir ou non aux soins sont des principes absolus », a-t-elle rappelé. Pour que des services humanisés soient dispensés aux usagers, les médecins gagnent donc à prendre le temps de bien expliquer les choses aux patients et de s’assurer de leur pleine compréhension, quitte à tisser autour d’eux un filet de sécurité par le biais de parents, de proches aidants, de psychologues, de travailleurs sociaux, de groupes communautaires ou autres, surtout en présence de troubles cognitifs ou de santé mentale.

« Il faut plus de communication aussi, plus de partage et plus d’accompagnement de la population », a-t-elle admis. Les médecins devraient même, à son avis, avoir davantage de discussions avec les gestionnaires d’établissements quand ils sont témoins de moments au cours desquels la confidentialité, le consentement et l’accès aux soins sont entravés ou carrément compromis. En somme, aux dires de Sylvie Tremblay, une confiance mutuelle doit s’établir entre les soignants et les patients.

« Le droit à la confidentialité et le droit de consentir ou non aux soins sont des principes absolus. »
Mme Sylvie Tremblay, Directrice générale du Regroupement provincial des comités des usagers

Lumière sur le processus d’enquête

La Dre Marie-Josée Dupuis, syndique et directrice des enquêtes au CMQ, a ensuite profité de sa discussion avec Emmanuelle Latraverse pour faire la lumière sur le processus d’enquête, craint et souvent aussi mal interprété par les membres de l’ordre.

Sitôt qu’un demandeur rapporte un manquement de la part d’un médecin, une demande d’enquête est lancée : la situation rapportée doit être précise et identifiable et l’indice de manquement doit être probant. Après, tout professionnel qui se fait interpeller par son ordre a l’obligation de lui répondre et de collaborer avec lui. En contrepartie, l’ordre doit justifier aux plaignants et aux médecins pourquoi leurs requêtes vont ou non de l’avant.

Ainsi, le webinaire a permis d’apprendre que seulement une fois sur 2, une requête de plaignant se soldait par une enquête formelle poussée. S’il n’y a pas d’indices de manquement; si la demande est non fondée, frivole ou quérulente; si le médecin visé s’est retiré depuis de la profession, s’il a déjà été radié ou s’il est décédé; s’il jouit de l’immunité en vertu du Code des professions ou si la demande est hors compétence, il y a rejet de celle-ci au terme d’un examen sommaire. À l’inverse, si on conclut qu’il y a matière à enquête, la demande peut se solder de plusieurs manières : problème non retenu, rappel des obligations, problème retenu ou plainte disciplinaire.

La Dre Dupuis a d’ailleurs fait état de quelques chiffres éloquents, qui illustrent bien le processus : dans seulement 15 cas, il y a eu décision de porter plainte au conseil de discipline; 30 demandes d’enquêtes ont été jugées non fondées, frivoles ou quérulentes; 826 enquêtes ont conclu à une absence de manquement; 69 enquêtes ont conduit à des mesures disciplinaires non judiciarisées (accompagnement, rappel des obligations, limitations, etc.); et dans 1 513 cas, il y a eu décision de ne pas porter plainte au conseil de discipline. De quoi remettre les choses en perspective!

Il importe aussi de préciser que ce n’est pas le Collège qui détermine si un médecin est coupable ou non. Le CMQ agit comme porteur de la plainte du public : il est un peu l’équivalent d’un procureur de la couronne. C’est plutôt le tribunal professionnel qui tranche. Le Code des professions donne par ailleurs tous les pouvoirs nécessaires au CMQ pour qu’il puisse mettre la main sur les informations nécessaires à une enquête (accès à l’ordinateur et/ou au cellulaire du médecin, etc.).

La syndique et directrice des enquêtes au Collège a conclu en rappelant une règle d’or aux médecins : « Tout ce que vous n’aimeriez pas qui soit diffusé subséquemment sur la place publique, a lancé la Dre Marie-Josée Dupuis, ne devrait tout simplement jamais être dit à une patiente ou à un patient dans un contexte de consultation privée. »

Lumière sur l’inspection professionnelle

Souvent confondue avec l’enquête, l’inspection professionnelle n’est pas coercitive. « C’est en fait le processus qui permet de surveiller la qualité de l’exercice médical conformément au programme de surveillance générale (PSG) établi par le Collège », a expliqué le Dr Anas Nseir, directeur et responsable de l’inspection professionnelle au CMQ. L’inspection sert donc à aider et à soutenir les médecins, par le biais du dialogue, de la pédagogie, de la rétroaction et d’une approche constructive.

« D’ailleurs, nous ne faisons pas d’inspections au hasard, a-t-il tenu à préciser. Nos différents sous-programmes d’inspection ont été conçus en fonction de facteurs de risques relatifs, analysés par des statisticiens : syndic (44 %), signalement (31 %), questionnaires 60 et 70 ans (23 %), comité de révision/comité des requêtes/groupe témoin (2 %), opioïdes/benzodiazépines et télémédecine (nouveautés).

Le PSG du CMQ compte 3 niveaux de surveillance : touchant environ 75 % des médecins actifs, le niveau 1 permet de jeter un regard global sur la qualité de l’exercice; le niveau 2 cible environ 20 % des praticiens actifs et a pour but d’évaluer la qualité de l’exercice de groupes de médecins présentant des caractéristiques similaires (démographie, lieu d’exercice ou profil de pratique); enfin, le niveau 3 touche à peu près 5 % des médecins actifs et centre son évaluation sur l’aspect sécuritaire de la pratique et le maintien des compétences individuelles.

Les observations découlant des inspections professionnelles mènent à diverses conclusions : lettres de satisfaction/félicitations, recommandations, stages, tutorat, cours, engagement dans une activité volontaire, limitation circonscrite dans le temps… « Nous prônons, ainsi, explique le Dr Nseir, l’engagement actif et la réflexion des médecins sur leur propre pratique. Une sorte d’autocritique conduisant à l’autoamélioration. »

« Nous prônons, ainsi, l’engagement actif et la réflexion des médecins sur leur propre pratique. Une sorte d’autocritique conduisant à l’autoamélioration. »
Dr Anas Nseir, directeur et responsable de l’inspection professionnelle au CMQ

Lumière sur le développement professionnel et la remédiation

En conclusion du webinaire, la Dre Johanne Blais, inspectrice, a exposé les activités de développement professionnel et de la remédiation offerte par le CMQ. Faits intéressants à préciser : quelque 1 500 médecins y ont participé durant le cycle de 5 ans compris entre 2019 et 2024, et dans 68 % des cas, il s’agissait de démarches personnelles dans le but de maintenir à jour les compétences. Le reste des personnes participantes ont été référées par le syndic ou le comité d’inspection professionnelle du CMQ.

Plus spécifiquement, le Collège des médecins propose 2 types d’activités de développement professionnel et de remédiation, se soldant – dans 75 à 98 % des cas – par une réussite :

  1. Le tutorat, qui se compose de rencontres pédagogiques individualisées avec une personne tutrice, étalées sur plusieurs mois et donnant lieu à des discussions et de la rétroaction relatives aux dossiers médicaux réels du médecin. Ce sont ici le raisonnement clinique et la qualité de l’exercice qui sont mesurés.
  2. Le stage, qui permet d’effectuer des tâches cliniques sous la supervision directe ou indirecte d’un médecin (accompagné, parfois, de collègues), dans le milieu du maître de stage. Ce sont ici le savoir-faire et la qualité des relations (patients-médecins et médecins-collègues) qui sont mesurés.

Précisons que le CMQ organise annuellement environ 45 ateliers auxquels prennent part 600 médecins. Des ateliers sont aussi offerts sur demande par le Collège : une vingtaine sont organisés chaque année, permettant ainsi de parfaire les connaissances de 900 médecins quant à différentes notions d’importance.

En conclusion

Adressant quelques mots aux participants du webinaire, le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ, a profité de ce 5e Rendez-vous du Collège pour réitérer l’importance des enjeux de confidentialité, compte tenu surtout des défis qu’amènent le numérique et la popularité des réseaux sociaux. Il a aussi rappelé que tous les médecins devaient placer le patient au cœur de leurs actions et que les lois, les règles et les codes étaient là pour protéger les plus vulnérables. Il convient donc de les connaître, de s’y conformer et d’exercer une réflexion critique continue sur la pratique médicale, pour ne mettre aucun patient à risque.