Je doute du comportement d’un médecin. Je fais une plainte ou pas?
Dans quelles circonstances signaler le comportement d’un médecin et à quoi s’attendre de la démarche d’enquête? Tout savoir sur ce processus important pour la protection du public.
C’est en toute confiance que nous consultons un médecin. Mais dans certains cas, son approche peut susciter des doutes et des inconforts. Quand est-il opportun de faire une demande d’enquête (plainte)? Petit guide du processus de plainte du CMQ à l’intention du public.
Les jours, les semaines, voire les mois qui précèdent le dépôt d’une plainte visant une ou un médecin s’accompagnent généralement d’une foule d’émotions. Parmi celles-ci, le doute peut occuper une place importante. Est-ce que je fais une bonne lecture de ce qui s’est passé? Qui suis-je pour remettre en question le professionnalisme de mon médecin?
50 nuances de signalement
C’est en partie ce qui a fait hésiter Lydia*, malgré sa longue expérience professionnelle dans le milieu de la santé. Ce n’est qu’après un deuxième avis médical, qui contredisait le diagnostic initial ayant mené à 2 opérations pratiquées sur son conjoint, qu’elle a pris sa décision. « C’est choquant d’apprendre après coup qu’une chirurgie, avec tout ce que cela implique, n’était pas nécessaire. John* était très en colère, et avec raison. De mon côté, je voulais éviter que d’autres personnes vivent la même chose », se souvient-elle.
Le conjoint de Lydia, un semi-retraité de 78 ans, souffrait d’une perte de sensibilité dans les doigts de ses 2 mains, ce qui limitait de plus en plus ses activités quotidiennes. Lydia connaissait de réputation un spécialiste des mains que John, impatient de trouver une solution, a accepté de consulter.
Au premier rendez-vous, le spécialiste diagnostique un syndrome du tunnel carpien et recommande une intervention aux 2 avant-bras. « Il y avait un petit doute dans mon esprit, car le diagnostic a été posé sur la base de quelques observations cliniques uniquement. Mais nous lui faisions confiance », raconte Lydia.
Après des mois sans amélioration de ses symptômes, John consulte un neurologue, sur la recommandation d’un médecin de famille. Après une série de tests, dont l’imagerie par résonance magnétique (IRM), le neurologue les informe que le problème avec les doigts de John se situe plutôt dans ses vertèbres cervicales où des nerfs sont comprimés.
« Il nous a dit que John n’a jamais souffert du syndrome du tunnel carpien, mais qu’une chirurgie de décompression des vertèbres cervicales était indiquée. Nous étions épuisés et inquiets, car c’était une opération importante, sous anesthésie générale, et la convalescence le serait tout autant ». Ce n’est que vers la fin de la convalescence (conséquente à la décompression des vertèbres cervicales) de son conjoint que Lydia a porté plainte contre le médecin spécialiste à l’origine des interventions précédentes. Rappelons qu’il n’y a pas de délai maximal entre les événements qu’une personne juge problématiques et le dépôt d’une plainte formelle.
Au moment d’écrire ces lignes, John est toujours en processus de réadaptation à la suite de sa chirurgie cervicale. Lydia, quant à elle, continue de l’aider à remonter la pente et ne regrette pas d’avoir porté plainte contre le médecin qui a posé un diagnostic erroné.
Si la plainte de Lydia paraît d’emblée justifiée, les choses ne sont pas toujours aussi claires. Par exemple, qui n’est jamais ressorti du cabinet d’un médecin au moins une fois en se disant : « Elle ou il n’a même pas pris en considération ce que je disais! ». Est-ce une raison suffisante pour porter plainte?
« Le ressenti de la personne qui se dit lésée n’est pas remis en doute : il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons pour formuler une plainte à l’endroit d’un médecin. Cependant, le but d’une enquête est d’évaluer si le médecin a dérogé à ses obligations déontologiques. »Dre Marie-Josée Dupuis, syndique et directrice des enquêtes au CMQ
Les médecins sont soumis à différents règlements et lois, à leur Code de déontologie ainsi qu’au Code des professions. Lorsqu’une plainte est formulée envers un médecin, l’enquête vise à évaluer si le médecin a dérogé à de telles obligations.
La Dre Dupuis précise qu’il est important de bien comprendre les objectifs de la justice disciplinaire et d’avoir des attentes réalistes quant à l’issue possible du processus. Lorsqu’une personne fait une plainte au Collège envers un médecin, le Bureau du syndic évalue s’il y a matière à enquêter, puis ce n’est qu’à l’issue de l’enquête que le syndic détermine si le médecin a commis une faute professionnelle.
* Nous avons changé le nom de la plaignante et de son conjoint pour des raisons de confidentialité.
Faire une plainte : et après?
« Bien des personnes qui déposent une plainte contre une ou un médecin se sentent trahies et sont souvent très en colère. Sous le coup de l’émotion, elles voudraient que le médecin qu’elles considèrent comme fautif ne puisse plus pratiquer la médecine. Mais l’objectif du traitement des plaintes et des enquêtes n’est pas de punir les médecins. Le but est plutôt d’appliquer la mesure la plus appropriée au comportement problématique dans une perspective de protection du public. Dans le cas où, à la suite de l’enquête, le syndic déciderait de porter plainte contre le médecin devant le conseil de discipline, ce tribunal jugera de la culpabilité du médecin et de la sanction appropriée, en tenant compte des principes cardinaux du droit disciplinaire, soit la protection du public, la dissuasion de récidiver et l’exemplarité », explique la Dre Dupuis. Par exemple, une ou un médecin ne sera pas radié parce que sa patientèle le trouve peu chaleureux.
Pour le dire autrement, ce ne sont pas toutes les plaintes qui donneront lieu à une enquête, et si un problème est retenu à la suite de l’enquête, il n’y aura pas systématiquement de plainte du syndic devant le conseil de discipline. Comme le précise la Dre Marie-Josée Dupuis, « dans bien des cas, il est possible de corriger le comportement problématique grâce à des mesures préventives, qui visent à améliorer la compétence du médecin et à protéger le public. » Il peut s’agir, par exemple, de remarques et de suggestions visant l’amélioration de la pratique ou encore la participation à une activité de perfectionnement. Dans certaines situations, le médecin peut s’engager à ne plus pratiquer dans certains domaines ou même à cesser la pratique complète de la médecine. Ce type d’engagement pris avec l’ordre assure la protection du public sans devoir passer devant un tribunal.
Dans le cas de manquements graves suspectés, par exemple un médecin qui exercerait sous l’effet de drogues ou qui aurait présumément commis une inconduite sexuelle, le dossier est traité en priorité afin que le ou les comportements répréhensibles cessent dans les meilleurs délais.
Le Collège des médecins du Québec reçoit chaque année plus de 2 000 plaintes provenant du public, de professionnels de la santé, de centres hospitaliers ou d’organismes. Toutes les demandes reçues sont étudiées et environ 50 % d’entre elles donnent lieu à une enquête. La majorité des enquêtes seront conclues dans un délai de 6 mois ou moins, compris entre la réception de la demande et sa conclusion. Certaines enquêtes nécessitent cependant de recueillir de nombreux documents (incluant l’obtention de l’avis d’une personne experte), ce qui explique que des délais parfois prolongés soient nécessaires pour bien les mener à terme.
Enfin, il est important de noter que ni le syndic ni le conseil de discipline ne peut condamner un médecin ou exiger de lui le versement d'un dédommagement à son ou ses patients. Si elle souhaite réclamer des dommages et intérêts à la suite d’un préjudice, une personne doit recourir aux tribunaux civils et cette démarche peut être menée parallèlement au processus de plainte du CMQ.
Faire une plainte au CMQ, étape par étape
Tous les professionnels qui collaborent à l’examen d’une plainte sont tenus par la loi à la confidentialité des informations et de l’identité des parties prenantes. Les enquêtes et leur contenu sont confidentiels. Seulement les plaintes adressées au conseil de discipline ont un caractère public.
Il est également important de comprendre qu’entre le moment du dépôt de la plainte et la conclusion de l’enquête, le lien professionnel entre le médecin et la plaignante ou le plaignant est suspendu en vertu de l’article 121 du Code de déontologie. En termes simples, le médecin visé par une plainte n’est plus autorisé, pour toute la durée du processus, à entrer en communication avec la patiente ou le patient à l’origine de la plainte. Ceci peut donc occasionner une rupture dans le suivi thérapeutique.
Enfin, la plainte doit être écrite pour être examinée. Mais comme le fait remarquer Lydia, « tout le monde n’a pas les mêmes capacités à rédiger et n’a pas le même niveau de littératie en ce qui a trait aux technologies de l’information. Certaines personnes pourraient trouver très difficile de décrire correctement ce qu’elles ont vécu ou de transmettre certains documents, par exemple. »
Le Dr Daniel Tardif, syndic adjoint au CMQ, précise que lorsque les difficultés éprouvées par une demanderesse ou un demandeur sont trop importantes, il est possible de faire une requête verbale sous certaines conditions. De plus, l’ensemble du processus fait, en continu, l’objet d’améliorations afin d’en limiter les obstacles et d’en faciliter la compréhension.
C’est le Bureau du syndic qui est chargé de l’examen des plaintes, de la communication avec les personnes plaignantes et les médecins visés et, s’il y a lieu, des mesures à prendre afin que le comportement problématique cesse.
Au Collège des médecins du Québec, cette entité administrative est composée d’un syndic principal, de 12 syndics adjoints, de 8 enquêteuses et d’un enquêteur assigné aux dossiers d’exercice illégal de la médecine. Les membres du Bureau du syndic peuvent recourir à l’expertise d’une ou d’un spécialiste lorsque la situation l’exige.
Un médecin interpellé par le Bureau du syndic, qu’il soit visé par une enquête, témoin ou détenteur d’une information nécessaire à la tenue de l’enquête, ne peut invoquer le secret professionnel et a le devoir de répondre aux questions du syndic ou de lui fournir des documents pertinents dans le cadre de cette enquête.
En savoir plus
- Cheminement d’un signalement au CMQ
- À propos de l’exercice illégal de la médecine
- Liste des décisions disciplinaires
- Comprendre la justice disciplinaire
Pour les professionnels
Bloc technique
Recherche, rédaction et révision linguistique : CMQ
Conformité du contenu : Direction des enquêtes
Photo individuelle Dre Dupuis et Dr Tardif : Caroline Perron
Date de publication : 22 janvier 2025