Projet de loi no 83
Notes d’allocution du président du CMQ pour la commission du 11 février 2025 à l'Assemblée nationale du Québec.
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Mauril Gaudreault, lors de la commission du 11 février 2025 à l'Assemblée nationale du Québec.
Je vous remercie de donner l’occasion au Collège des médecins du Québec de vous transmettre sa position, ses commentaires et ses suggestions sur le projet de loi no 83, qui vise à favoriser l’exercice de la médecine au sein du réseau public de la santé et des services sociaux.
J’ai exercé comme médecin de famille pendant une quarantaine d’années à Chicoutimi. J’ai aussi été doyen associé à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, ce qui m’a permis de mettre en place, il y aura près de 20 ans, le Programme de formation médicale à Saguenay.
Grâce à ce programme, des cohortes d’étudiants ont pu parfaire leurs connaissances médicales et apprivoiser l’exercice de la profession, tout en comblant de nécessaires effectifs médicaux en région.
Je connais bien le réseau public. J’ai toujours été très proche des étudiants et des résidents. Dans ma carrière, j’ai côtoyé une multitude de médecins et je les sais socialement responsables.
Et je crois, comme la majorité des Québécois, que les jeunes médecins doivent redonner à la société en soignant dans le réseau public pendant un certain nombre d’années.
Il est essentiel que nous nous penchions sur la place du privé en santé. Le projet de loi no 83 nous en donne l’occasion.
N’est-il pas particulier que ce soit au Québec, plus que partout ailleurs au Canada, que le nombre de médecins non participants au réseau public soit le plus élevé? 800!Mauril Gaudreault, Président du CMQ
Dans le reste du pays, ils ne sont que quelques dizaines. Pourquoi? Parce que des mesures ont été prises.
En Ontario, par exemple, il est interdit de se désaffilier de l’assurance santé.
Au Québec, on connaît certaines dérives du privé en santé. Récemment, le Collège et l’OIIQ ont justement annoncé une action commune envers une clinique de télémédecine privée.
Ce sont des situations de cette nature qui ont amené le Collège des médecins à énoncer des principes directeurs.
Ces principes s’appuient sur plusieurs études qui confirment qu’à moyen et long terme :
- Le privé n’élargit pas l’accès aux soins;
- Et ne rend pas les soins de santé moins coûteux.
Comme le gouvernement et d’autres parties prenantes en santé :
- Nous prônons un système de santé et de services sociaux, public, universel et accessible;
- Nous voulons assurer la pérennité du réseau public, dans le cadre du pacte social entre la population, l’État québécois et les médecins;
- Nous voulons créer les meilleures conditions de pratique pour les médecins et souhaitons que l’exode du personnel en santé vers le privé cesse.
Recommandations
Sur la base de ces prémisses, nous recommandons essentiellement 2 choses au gouvernement :
Premièrement, que l’élargissement de la médecine au privé soit suspendu tant et aussi longtemps qu’un encadrement professionnel et juridique plus rigoureux ne sera pas mis en place.
Pour ce faire, le statut de médecin non participant doit être totalement éliminé, comme en Ontario.
Les médecins non participants profiteraient d’un droit acquis, mais leurs honoraires seraient limités à ce qui est autorisé dans le réseau public.
J’ouvre une parenthèse.
Si le gouvernement décidait de ne pas emprunter avec courage cette avenue, 4 gestes devraient être posés :
- Éliminer l’écart de rémunération pour un même service entre le privé et le public.
- Baliser les modalités de changement de statut de médecin participant au système public à celui de non participant. Actuellement, on peut changer de statut pas moins de 9 fois dans une même année!
- Resserrer les conditions de pratique des médecins du privé pour qu’ils soient disponibles en tout temps afin de garantir le suivi de leurs patients qui, trop souvent, aboutissent à l’urgence et sont pris en charge par le réseau public.
- Encadrer des entités tierces auxquelles les médecins peuvent s’associer pour les rendre imputables, notamment lorsque leurs propriétaires et administrateurs ne sont pas membres d’un ordre professionnel.
Je referme la parenthèse.
Et je poursuis avec notre 2e recommandation au gouvernement. Il faut corriger les irritants qui démotivent les médecins – jeunes et moins jeunes – et les amènent à quitter le réseau public de santé au profit du privé. Comme :
- Assouplir et adapter les plans d’effectifs médicaux, les PEM, et les PREM. Bien que l’on constate que ces plans permettent une couverture médicale adéquate dans les régions du Québec, il s’avère que l’application rigide des règles empêche, par exemple, des médecins d’aller vers la retraite et de ne travailler qu’à mi-temps, ou encore force des médecins à déraciner leurs jeunes familles.
- Il faut aussi revoir les obligations liées aux activités médicales particulières, les AMP, qui ne s’appliquent actuellement qu’aux médecins de famille, écartèlent souvent les médecins entre leur foyer et leur lieu de pratique et parfois aussi, les lieux de pratique entre eux. Il faut adapter ces règles aux réalités d’aujourd’hui, tout en prenant en compte les besoins de la population.
- Il faut aussi élargir l’accès aux plateaux techniques, dont les blocs opératoires, alors que des chirurgiens sont poussés vers le privé pour enfin opérer leurs patients.
- Il faut enfin offrir un soutien administratif adéquat aux médecins qui remplissent des tonnes de formulaires, ou subissent le capharnaüm des annulations de rendez-vous et des « no-show ».
Le projet de loi no 83 a peut-être sa raison d’être.
Mais je rappelle au gouvernement qu’il dispose déjà d’outils législatifs et réglementaires pour limiter la place du privé en santé. Des mesures pour que le privé n’offre pas, par exemple, de services quand le réseau public peut répondre à la demande. Notre mémoire précise lesquels.
La principale mesure du projet de loi no 83 est le nouvel article 27 de la Loi sur l’assurance maladie qui obligerait tout médecin voulant devenir non participant d’avoir été participant pendant 5 ans, sans quoi, il s’exposerait à des sanctions financières.
Il autoriserait aussi le gouvernement à imposer aux étudiants et résidents la signature d’un engagement pour exercer la médecine au Québec après l’obtention de leur permis ou la fin de leur résidence. Le tout assorti d’une clause pénale.
Formulé comme cela, le Collège estime qu’on va trop loin et que ça ne permet pas, non plus, de s’attaquer au problème ou à ses causes.
Les futurs médecins seront de plus en plus mobiles. Des mesures de cette nature pourraient les décourager de choisir le Québec pour leur formation. Et pour les étudiants, la signature arrive tôt dans le cadre d’une formation qui s’étend sur plusieurs années, au cours de laquelle ils peuvent changer de parcours professionnel.
Et on suppose qu’il sera difficile d’imposer à un médecin de ne pas quitter le Québec après sa formation.
Le privé prend de plus en plus de place en santé, trop à notre avis. Ça n’est pas arrivé tout seul ! Les difficultés d’accès en sont en grande partie responsables. Et ça devient un cercle vicieux.Mauril Gaudreault, Président du CMQ
Il faut agir, avant qu’il ne soit trop tard. Sinon, on risque que ce ne soient que les contribuables aisés qui aient accès plus rapidement à des services de santé.
Les mesures que le gouvernement veut imposer aux nouveaux médecins, aux étudiants et aux résidents ne seraient plus nécessaires si le Québec comme l’Ontario interdisait le statut de non participant au régime public de santé.
Pour le Collège des médecins, c’est la seule avenue qui assurera la pérennité du réseau, l’accès aux soins et le respect du pacte social entre l’État, les citoyens et les médecins.
Je vous remercie de m’avoir écouté. Je suis prêt à répondre à vos questions et à entendre vos commentaires.
Note importante - La version prononcée de l'allocution a préséance sur sa version écrite.