Mordu de sport et de médecine
Découvrez les divers mandats qu’accomplit un médecin du sport.
Médecin-chef des Alouettes de Montréal depuis 28 ans, le Dr Vincent J. Lacroix est une figure de proue de la médecine du sport au Québec. Ayant également œuvré auprès des Canadiens de Montréal, il se montre toujours aussi passionné par le sport… et par son champ d’exercice. Le temps d’un entretien, il nous entraîne dans son quotidien, là où l’ordinaire côtoie parfois l’extraordinaire!
Au service des Alouettes
En près de trois décennies aux côtés des Alouettes, le Dr Vincent J. Lacroix a eu le privilège de soulever quatre fois la coupe Grey avec l’équipe montréalaise. « Ce sont toujours des moments très excitants, mais c’est surtout le sentiment de contribuer au succès des athlètes qui apporte satisfaction », avoue-t-il.
En tant que médecin-chef des Alouettes, le Dr Lacroix compare son rôle à celui d’un médecin d’entreprise, dont le mandat est de s’occuper d’une « grande famille » composée de tous les membres du personnel. Au-delà des 45 joueurs en uniforme (dont une dizaine seulement sont originaires du Québec), ce sont près de 70 joueurs qui sont rattachés à l’équipe. Au camp d’entraînement, ils sont parfois jusqu’à 95 athlètes provenant d’ici et d’ailleurs, à la recherche d’un contrat professionnel.
C’est une réelle passion pour le sport qui anime ces athlètes, puisque les salaires sont loin d’être comparables à ceux qu’on trouve au hockey professionnel. « Au football canadien, le salaire moyen d’un joueur de première année est d’environ 60 000 dollars canadiens, pour une période de 6 mois. Souvent, les joueurs ont un deuxième emploi. Ça fait des gens plutôt terre-à-terre », constate-t-il.
L’équipe… derrière l’équipe
Être la ressource médicale pour tout ce beau monde, c’est du sport! Heureusement, toute une équipe œuvre aux côtés du Dr Lacroix : un thérapeute du sport en chef, des physiothérapeutes, trois ou quatre médecins (habituellement des médecins de famille formés en médecine du sport) et deux orthopédistes qui procèdent à des chirurgies diverses (épaule, genou, etc.).
Le premier rôle de l’équipe médicale est de dépister, lors du camp d’entraînement, les pathologies chez les athlètes et d’aider ainsi le gérant et l’entraineur-chef à bâtir une équipe solide. « Par exemple, un joueur qui aurait subi deux chirurgies au genou et qui n’aurait pas encore terminé sa réhabilitation risque de ne pas intégrer l’équipe puisqu’il est à haut risque de se blesser à nouveau », explique le Dr Lacroix.
Une fois l’équipe constituée, les joueurs bénéficient d’un soutien médical tout au long de l’année. Dès le début de la saison, certains joueurs auront des blessures musculaires ou articulaires. « Il peut s’agir d’une fracture ou d’une déchirure ligamentaire. Parfois, une chirurgie est nécessaire et il faut voir comment se passe la réadaptation. Nous sommes là pour les suivre au quotidien. »
Outre les blessures classiques liées au sport, les motifs de consultation sont variés : une appendicite, une pierre au rein, une infection urinaire, des problèmes dentaires... Selon la situation, des membres de l’équipe de l’Hôpital général de Montréal, à laquelle est rattaché le Dr Lacroix, seront sollicités. Et c’est sans oublier les conjointes des joueurs, qui ont accès à une obstétricienne-gynécologue au besoin.
S’occuper de santé mentale
Les problèmes de santé mentale chez les joueurs sont aussi dans la mire de l’équipe médicale. Chez ces jeunes hommes, âgés de 22 à 36 ans, on peut retrouver des cas de schizophrénie, de bipolarité, de dépression chronique ou encore des problèmes de dépendance. L’équipe médicale se charge alors d’orienter les joueurs vers les ressources appropriées. La Ligue canadienne de football (LCF) met également à la disposition des joueurs une ligne téléphonique confidentielle où se confier. « Parfois les joueurs ont simplement besoin de partager leurs inquiétudes. La plupart d’entre eux se retrouvent loin de la maison et ne parlent pas français. Ils peuvent se sentir isolés ou traverser des moments difficiles », rappelle le Dr Lacroix. Dans ces cas, l’empathie et l’écoute constituent les meilleurs remèdes.
La petite histoire…Issu d’une famille de sportifs, Vincent J. Lacroix a pratiqué le ski et joué au basketball durant sa jeunesse. À McGill, où il a fait des études en anatomie, puis en médecine, il a été entraîneur adjoint de l’équipe de basketball masculine, les Redmen, pendant cinq ans. Encore aujourd’hui, il joue au tennis et s’entraîne régulièrement. Bref, du sport, il en mange. Pourtant, rien ne le prédestinait à devenir médecin du sport, un domaine qui n’existait pas au Québec lorsqu’il a terminé ses études en médecine.Revenons au début des années 1990. Fraîchement diplômé en médecine, Vincent J. Lacroix s’oriente vers l’obstétrique-gynécologie. Ses stages de résidence sont stimulants. Il aime l’adrénaline que cette spécialité lui procure, le plaçant tour à tour face à des événements heureux comme un accouchement, puis à des cas complexes de cancers dévastateurs. Emballé par son expérience, il se heurte toutefois aux horaires atypiques et à la privation de sommeil qu’entraînent les longues périodes de garde. « C’est là où j’ai compris à quel point j’avais besoin de mon sommeil », se remémore-t-il. Le choix de la médecine familiale s’impose alors, une option qui lui permettra de continuer à faire de l’obstétrique. À cette époque, il s’implique toujours auprès des Redmen : « Comme j’étais devenu médecin, les joueurs me demandaient souvent conseil, que ce soit pour une blessure au genou ou une foulure à la cheville. Mais puisqu’on n’enseigne pas la kinésiologie ou la physiothérapie dans les cours de médecine, je ne savais pas comment les aider. » Une idée germe Réalisant alors à quel point il aime s’occuper des athlètes, mais combien certaines connaissances lui font défaut, le Dr Lacroix se met en tête de créer un programme d’une année de formation supplémentaire, conçu pour les résidents en médecine de famille et centré sur toutes les facettes de l’activité physique. C’est ce qu’on appelle dorénavant un fellowship. Il n’existe alors que deux programmes en médecine du sport dans tout le pays, à Vancouver et à Edmonton. Au Québec, tout est à créer… Le principal obstacle? Trouver les fonds nécessaires pour monter et pérenniser un tel programme. La rencontre avec un philanthrope, Edmond Ricard, sera déterminante pour la suite. Souhaitant contribuer à l’essor de la médecine du sport, cet homme déterminé, atteint d’un cancer du rein, recueillera un million de dollars qu’il versera à la Fondation de l’Hôpital général de Montréal. Les intérêts générés par ce fonds permettront de financer le fellowship et d’assurer l’autonomie du programme. Naissance d’un programme québécois C’est ainsi que le Dr Lacroix a mis sur pied, dès 1994, le programme de médecine du sport de l’Université McGill, une première au Québec! Il sera lui-même le premier finissant du programme. Depuis, les autres universités québécoises ont emboîté le pas. On retrouve aujourd’hui des programmes de médecine du sport et de l’exercice dans les facultés de médecine des universités de Montréal, de Sherbrooke et Laval. Au cours de cette année de formation intensive, la résidente ou le résident prend en charge des consultations à la clinique universitaire, assiste à des événements sportifs, suit des cours et effectue des stages. La clinique de médecine du sport s’implique activement auprès des quelque 800 athlètes qui forment les différentes équipes sportives de McGill. Que ce soit au basketball, à la natation ou au hockey, ces athlètes sont soumis à un examen de préparticipation, puis bénéficient d’un suivi médical, d’une supervision lors des entraînements, de conseils pour optimiser leurs performances et de traitements en cas de blessures. Plusieurs diplômés des programmes en médecine du sport sont recrutés par des équipes sportives professionnelles. D’autres évoluent au sein des équipes olympiques; d’autres encore font rayonner leur bagage de connaissances dans leur milieu de travail (hôpital, clinique, GMF ou autre), au service de populations variées. |
Une relation de confiance
Le Dr Lacroix se fait un devoir de rendre visite aux joueurs des Alouettes au minimum une fois par semaine. « Pour développer une relation de confiance avec les athlètes, il faut être présent. On ne peut pas se limiter à assister aux parties ou être là seulement lorsque les caméras tournent. » S’il n’est pas sur place lors des matchs, d’autres collègues prennent le relais. Lors des déplacements, la formation est toujours accompagnée par l’un des médecins de l’équipe. « La saison est tellement courte... chacune des 18 parties est importante. »
Au-delà des moments euphorisants de victoire, c’est surtout le privilège d’accompagner les joueurs dans la prise de décisions charnières qui anime le Dr Lacroix. « Cette année, on a des joueurs qui vont accrocher leurs souliers. C’est dur pour eux, car ils se définissent par ce travail. Certains sont promis à de belles deuxièmes carrières, mais ils vous diront que ce ne sera jamais comparable à être sur le terrain, adulé par des milliers de personnes. »
Pour les guider, le Dr Lacroix mise sur la transparence et la franchise. « Il faut bien expliquer les choses et présenter tous les risques et bénéfices de continuer à jouer ou non. J’espère que j’atténue un peu la difficulté de faire ce choix, et surtout que je les rassure sur le fait qu’ils prennent la bonne décision. »
Le retour au jeu
Le Dr Lacroix a également développé un fort intérêt pour les questions éthiques entourant le retour au jeu. « Aider le joueur à effectuer un retour au jeu sécuritaire, dans un contexte où sa performance ne sera pas affectée négativement, où il ne risque pas d’aggraver une blessure et où il pourra être utile à son équipe, c’est ce qui me motive le plus. »
Parfois, l’entraîneur voudra qu’un joueur retourne rapidement sur le terrain, alors que l’équipe médicale juge qu’il n’est pas encore suffisamment rétabli de sa blessure. C’est là où le médecin doit faire preuve de doigté, afin de gérer cette situation avec le gérant, l’entraîneur, ou même l’athlète qui espère participer à un match important… Trouver un terrain d’entente est parfois difficile. « Nos connaissances médicales sont mises de l’avant pour protéger le joueur, car on doit toujours envisager le pire scénario. Au final, nous tentons d’arriver à un consensus, pour le bien de l’athlète. »
Les risques du sport
Le football a la réputation d’être un sport dangereux. Mythe ou réalité? Pour le Dr Lacroix, comme dans tout sport, le danger existe au football. Or, il estime que les risques sont moindres au football qu’au hockey. « Les joueurs de football se frappent très fort, mais leur maturité physique les avantage. » Aussi, les joueurs des lignes offensives et défensives ont tous à peu près le même gabarit et se percutent généralement les uns les autres. Ceux qui courent le plus grand risque sont les porteurs de ballon. En dépit de leur masse plus modeste, ils circulent parmi des joueurs au gabarit plus imposant et subissent des chocs plus violents lors d’un impact. Pour preuve, la carrière d’un porteur de ballon ne serait que d’environ trois ans, comparativement à huit ou dix ans pour les joueurs de ligne.
Au hockey, ce sont surtout les équipements qui, aux yeux du Dr Lacroix, constituent le plus grand risque, qu’il s’agisse des projectiles (rondelles), des bâtons ou des lames de patins. « La rondelle est projetée à des vitesses extraordinaires, elle est dure et surgelée pour qu’elle glisse encore plus vite. Malheureusement, plusieurs joueurs ne portent pas de visière complète, ce qui les place à risque d’une blessure au visage ou au cou. » Un tel choc peut avoir de graves conséquences, hélas.
Et les commotions cérébrales?
Selon le Dr Lacroix, le travail de sensibilisation des dernières années porte ses fruits : « On explique aux joueurs qu’ils ne doivent pas hésiter à venir nous voir s’ils soupçonnent avoir des symptômes de commotion cérébrale. En effet, un joueur ne devrait jamais retourner au jeu s’il souffre de symptômes persistants à la suite d'une commotion cérébrale. » Dans la LCF, on impose un protocole de retour progressif à l’activité physique qui dure environ sept jours, le tout sous supervision médicale. L’an dernier, on recensait 50 cas de commotions cérébrales dans la Ligue, dont 29 subies lors de matchs. Chez les Alouettes, quatre joueurs ont eu des commotions cérébrales l’an dernier, ce qui est peu, étant donné le nombre d’heures passées sur le terrain lors des matchs et des pratiques durant la saison.
« Aider le joueur à effectuer un retour au jeu sécuritaire, dans un contexte où sa performance ne sera pas affectée négativement, où il ne risque pas d’aggraver une blessure et où il pourra être utile à son équipe, c’est ce qui me motive le plus. »Dr Vincent J. Lacroix, médecin-chef des Alouettes de Montréal depuis 28 ans
Un autre rythme au hockey
Ayant cumulé près de 15 années de service auprès des Canadiens de Montréal, le Dr Lacroix conserve des souvenirs marquants de cette période. De 1993 à 2003, il a occupé le poste de médecin adjoint du Tricolore, puis a effectué un retour au sein de l’organisation, cette fois en tant que médecin-chef, de 2013 à 2016.
Aux côtés du Dr David Mulder, il a traité des cas mémorables, dont celui de l’ailier droit Trent McCleary, victime d’un tir frappé à la gorge qui aurait pu lui coûter la vie, ou encore les lacérations subies par un autre ailier droit, Donald Audette, dont le poignet gauche fut accidentellement coupé par une lame de patin. C’est aussi l’époque où le capitaine Saku Koivu a combattu un cancer. Des moments marquants, tant pour le personnel médical que pour les joueurs et les partisans.
La composition de l’équipe médicale entourant les Canadiens est assez similaire à celle entourant les Alouettes. On y compte notamment plusieurs médecins, des chirurgiens orthopédistes et des thérapeutes du sport. « Il y a moins de joueurs à traiter qu’au football, mais le nombre de matchs est beaucoup plus élevé », précise le Dr Lacroix. « De plus, lors des séries éliminatoires, l’horaire se dessine au fur et à mesure. On ne sait qu’à la toute dernière minute contre qui l’équipe jouera, et cela peut demander de se déplacer à New York ou même sur la côte Ouest. Ça chamboule un horaire lorsqu’on est médecin. »
Bref, il se remémore ces années comme une période de grande intensité, dont il conserve de bons souvenirs : « Il y a du bon monde au hockey, même si la pression y est très forte. J’y ai développé de belles amitiés avec certains joueurs, et j’y ai côtoyé des mentors extraordinaires », conclut-il.
Du sport d’élite au… trottoir enneigé!
Le travail auprès d’athlètes olympiques ou d’équipes professionnelles constitue certainement une facette excitante de la profession, mais ce n’est pas la seule. En parallèle de ses activités avec les Alouettes, le Dr Lacroix continue de travailler à l’urgence d’un hôpital et en clinique. Il est aussi professeur adjoint au Département de médecine de famille et codirecteur du programme de médecine du sport à l’Université McGill.
« Quand je travaille à l’urgence, je vois toutes sortes de cas : une personne plus âgée qui s’est fracturé la hanche en glissant sur un trottoir mal déglacé, une autre qui s’est foulé la cheville en tombant d’un escabeau. » Les commotions cérébrales sont aussi monnaie courante et se produisent dans une variété de contextes : « Cela peut résulter d’un accident de voiture, d’une chute en ski, ou simplement du fait de s’être cogné la tête sur le coin d’une armoire… »
En clinique, il suit des patientes et des patients souffrant de diverses pathologies (lombalgie, problème à l’épaule ou au genou, etc.) qui ne requièrent pas de chirurgie à court terme, ce qui permet de réduire la charge de travail de ses collègues orthopédistes.
Le Dr Lacroix est également cofondateur et directeur médical des cliniques AXiO, où il travaille en interdisciplinarité avec des infirmières, des physiothérapeutes, des ostéopathes et des nutritionnistes afin de répondre à différents besoins. « Les gens viennent nous consulter pour obtenir un bilan de santé, pour être accompagnés dans un projet de remise en forme ou encore pour se préparer à un défi sportif », cite-t-il en exemple.
D’ailleurs, il tient à déboulonner le mythe voulant que la médecine du sport soit réservée à l’élite. « On travaille avec des athlètes, mais c’est aussi pour tout le monde! » Les gens plus sédentaires sont, rappelons-le, tout aussi à risque de se blesser au quotidien ou de souffrir de troubles musculosquelettiques.
Si le Dr Lacroix avait un conseil à donner au public, ce serait le suivant : « On ne se met pas en forme en pratiquant son sport. » Vous avez bien lu. En fait, le médecin propose plutôt de cibler d’abord des exercices qui aideront notre corps à se préparer adéquatement à la pratique du sport qui nous intéresse.
« Depuis quelques années, des gens décident du jour au lendemain d’essayer le pickleball (tennis léger). J’ai vu tellement de blessures liées à ce sport depuis les deux dernières années, c’est incroyable! Les gens jouent sur une surface dure, n’ont pas développé leurs réflexes, et sont à risque de se casser un poignet ou de se déchirer un tendon d’Achille… Je leur suggère de s’entraîner un peu avant. » Être capable de réagir vite, de sauter, de courir sur de courtes distances… tout cela se développe. Et c’est ainsi qu’on évite de vilaines blessures.
Bouger, c’est la santé!
Que ce soit auprès d’athlètes ou de monsieur et madame Tout-le-Monde, la médecine du sport mise avant tout sur les saines habitudes de vie : dormir suffisamment, bien s’alimenter et faire de l’activité physique.
Il n’existe pas de remède miracle, mais l’activité physique possède de nombreux bienfaits, qui sont bien documentés, avec très peu d’effets secondaires. « Faire baisser la tension artérielle, perdre du poids, mieux dormir, diminuer le stress, maintenir une bonne santé mentale, prévenir les maladies du cœur, le diabète et certains cancers, diminuer certains risques durant la grossesse… tout cela est possible en faisant de l’exercice », illustre le Dr Lacroix.
De plus en plus, les médecins osent prescrire l’activité physique à leur patientèle, tant de façon curative que préventive. C’est cette approche que va continuer de défendre Vincent J. Lacroix qui, à l’aube de la soixantaine, prêche par l’exemple en réservant chaque jour à son agenda du temps pour bouger. « Le mouvement, c’est la santé! », résume le médecin. Voilà, tout est dit!