Les patients partenaires, un apport unique aux soins de santé
Texte à venir
Traduit en français de Dumez, V., L’Espérance, A. Beyond experiential knowledge: a classification of patient knowledge. Soc Theory Health (2024). [[https://link.springer.com/article/10.1057/s41285-024-00208-3]]
Développé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal en 2010, le « modèle de Montréal » est à l’origine de ce nouveau paradigme dans lequel les patientes et patients s’engagent activement dans leur parcours de soins. Ce modèle part du principe que les savoirs expérientiels des personnes vivant avec la maladie sont complémentaires aux savoirs scientifiques des spécialistes de la santé. En 15 ans, l’approche a fait boule de neige dans le réseau.
Le Collège des médecins y croit. C’est pourquoi il a été parmi les premiers ordres professionnels au Québec à inclure des patients partenaires dans ses comités et groupes de travail.
« Pour nous, le patient est un membre à part entière de l’équipe interprofessionnelle », déclare d’emblée le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ.
À l’heure actuelle, des patientes partenaires (toutes des femmes) siègent à 4 comités et groupes de travail d’envergure au CMQ :
- Télésanté et intelligence artificielle;
- Éthique clinique;
- Responsabilité sociale et développement durable;
- Collaboration en santé.
- Tout patient peut être partenaire de ses soins dans la mesure où il participe activement à la prise de décisions le concernant et se responsabilise face à sa santé.
- L’expression « patient partenaire » désigne par ailleurs des patientes et patients spécifiques qui sont recrutés, puis formés, afin que leur expertise soit mise à profit dans le réseau. En plus de participer à leurs propres soins et à leur rétablissement, ces personnes :
- Œuvrent à la formation des futurs professionnels de la santé au sein des universités;
- Siègent à des comités de gestion ou d’orientation;
- Contribuent à des travaux de recherche (par exemple, à la collecte de données, au recrutement de sujets ou à la rédaction de rapports).
À la rencontre de Claudia Houle, patiente partenaire
Lorsqu’en 2017, l’occasion s’est présentée de siéger au comité sur les activités médicales partageables du CMQ (maintenant le comité sur la collaboration en santé), Claudia Houle était dubitative. « Au départ, je me suis dit : Dans quoi se sont-ils embarqués? [rires] » Reconnue pour son franc-parler, cette patiente partenaire en a long à dire sur le système de santé. À sa grande surprise, ses interventions ont toujours été bien reçues autour de la table, voire encouragées. « Ce que je disais n’était pas toujours facile à entendre pour les médecins, mais on m’écoutait! »
Le parcours de soins de Claudia débute à l’âge de 14 ans. À la suite d’un diagnostic de diabète de type 1, elle développe un trouble alimentaire durant l’adolescence, puis divers autres problèmes de santé pour lesquels elle sera suivie au fil des années. « Mon CV de patiente est bien garni », résume-t-elle avec une pointe d’humour. Dès lors, elle constate que le climat dans lequel sont dispensés les soins n’est pas toujours optimal. « À l’époque, les professionnels détenaient l’information et ne la partageaient pas avec les patients. Je devais aller fouiller à la bibliothèque pour comprendre mon état. »
Une fois à l’université, elle termine un baccalauréat en psychologie, puis poursuit ses études en nutrition. En classe, elle lève souvent la main pour faire valoir le point de vue des patients. « Un jour, une professeure invitée nous a parlé d’un patient en dialyse qui refusait d’avouer qu’il était responsable de son état. Ces propos m’ont bouleversée. Le patient n’a pas à s’excuser auprès du professionnel de la santé. Plusieurs facteurs ont fait en sorte qu’il se retrouve là. »
« Les soignants ont la responsabilité de créer un climat de confiance avec les patients, afin que ceux-ci se sentent libres de s’exprimer et aient envie de collaborer. »Claudia Houle, patiente partenaire
Claudia sera l’une des premières personnes recrutées lors de l’ouverture du Bureau du patient partenaire à l’Université de Montréal en 2010. Dans ce rôle, elle contribue notamment à la formation des futurs professionnels de la santé.
En 2019, forte de son expérience au sein du comité sur la collaboration en santé, elle devient membre du groupe de travail sur la télésanté du CMQ. « Lorsque la télésanté s’est déployée à grande échelle durant la pandémie, la règle était que les patients ne pouvaient réclamer de voir leur médecin en personne si celui-ci jugeait que ce n’était pas nécessaire. Ce principe me dérangeait. Un soir, j’ai envoyé un courriel au groupe de travail pour expliquer les multiples raisons qui pouvaient faire en sorte qu’un patient souhaite voir son médecin en personne : sujet délicat, besoin de proximité ou d’être rassuré, aucun espace à la maison pour se confier, etc. Le groupe s’est montré réceptif et la consigne du CMQ a été modifiée », relate-t-elle.
Aujourd’hui nutritionniste au CHU Sainte-Justine, elle vit les 2 côtés de la médaille, soit la perspective de la clinicienne et celle de la patiente. « Des no-show [personnes qui ne viennent pas à leur rendez-vous], j’en ai beaucoup à l’hôpital. Mais ce n’est pas toujours le patient qui est à blâmer. Parfois, c’est le médecin qui a dirigé cette personne vers une nutritionniste sans s’assurer que c’était bien ce qu’elle voulait. »
Comprendre les subtilités de la relation clinicien-patient est son dada, et c’est un angle qu’elle souhaite continuer à développer en tant que patiente partenaire.
Un précieux son de cloche sur des questions d’actualité
Pour le CMQ, il est primordial de prendre le pouls de la population, afin de mieux remplir son mandat de protection du public. « Comme médecin et comme ordre professionnel, il ne faut jamais présumer que l’on sait ce que pensent les patients ou ce dont ils ont besoin », affirme la Dre Isabelle Tardif, directrice générale adjointe et secrétaire du CMQ.
En adoptant son énoncé de position sur l’équité, la diversité et l’inclusion au printemps 2023, le CMQ s’est engagé à lutter contre toute forme d’oppression qui engendre des inégalités. « Cela signifie que tous les types de savoirs doivent être valorisés, dont les savoirs traditionnels et expérientiels des patients », ajoute la Dre Nathalie Duchesne, médecin-conseil au CMQ.
Cette dernière illustre ce principe avec un exemple bien concret, celui des enjeux relatifs à la santé des personnes trans et non binaires. « C’est bien beau d’interviewer les médecins pour savoir comment ils vivent cette réalité, mais il faut parler à des patients. Et c’est ce que nous avons fait. » Les opinions recueillies ont influencé la position que le CMQ a défendue au printemps 2024 devant le Comité de sages sur l’identité de genre, mis sur pied par le gouvernement du Québec.
Un autre exemple récent : celui de la place accordée au privé en santé. Le positionnement du CMQ, rendu public à l’automne 2024, découle d’une importante démarche consultative. « Nous avons parlé à des experts et procédé à différentes consultations, notamment auprès de patients partenaires », relate la Dre Tardif.
Des retombées concrètes
Non seulement les patients sont de plus en plus consultés, mais ils collaborent à la création de certains outils pédagogiques au CMQ.
C’est le cas de la formation de base en sécurisation culturelle des soins de santé (FBSCSS), lancée en 2024. Concrètement, cet atelier invite les médecins à prendre conscience des iniquités qui peuvent engendrer de la discrimination dans les soins de santé. Or, pour le CMQ, élaborer une telle formation sans sonder les patients était impensable. La Dre Duchesne a donc fait appel à des personnes aux expertises et profils diversifiés pour s’assurer de couvrir tous les angles.
Une fois la formation élaborée, l’atelier fut présenté à un groupe de patients partenaires afin de s’assurer qu’il répondait bien à l’objectif initial. « Nous sommes fiers de dire que cette formation n’est pas l’œuvre du Collège uniquement : elle a été cocréée avec plusieurs partenaires, dont les patients eux-mêmes », affirme la Dre Duchesne.
Maintenant que la formation est lancée, il restera à mesurer son impact sur le terrain. « Or, la seule personne qui peut dire si elle est sécurisée culturellement, c’est la patiente ou le patient », rappelle la médecin. Comme ce type d’évaluation ne s’est jamais fait en sécurisation culturelle des soins de santé, de nouvelles méthodes seront à créer.
- L’article « Patient, expert de sa vie avec la maladie et partenaire de ses soins », qui clarifie et valorise ce rôle.
- La foire aux questions sur les téléconsultations, conçue à l’intention du public.
- Le Chantier sur l’accès à un médecin et la cessation d’exercice, dont une patiente partenaire fut membre à part entière aux côtés du CMQ et de divers partenaires du réseau.
À la rencontre de Karina Prévost, patiente partenaire
Karina Prévost était âgée de 3 ans lorsque ses parents ont appris qu’elle avait la fibrose kystique, une maladie génétique. Une fois le diagnostic reçu, d’innombrables consultations médicales, hospitalisations et opérations se sont enchaînées. « Je compare mon parcours de soins à un gros sac de roches que j’ai longtemps traîné sur mes épaules », confie-t-elle.
Au fil du temps, elle a pu observer le réseau de la santé sous toutes ses coutures et le voir évoluer : « Lorsque j’étais petite, la médecine était beaucoup plus paternaliste. Mes parents et moi nous assoyions devant le médecin et nous l’écoutions parler. Plus tard, on a commencé à me demander mon opinion, mon ressenti. De mon côté, j’ai eu envie de m’intéresser à ce que je vivais. » Les choses n’étaient pourtant pas parfaites et une certaine frustration s’accumulait avec les années. « Parfois, j’affirmais des choses factuelles comme : Ce médicament me donne la nausée… On me répondait : Non, ça ne se peut pas. On niait ce qui était pourtant ma réalité. »
Il y a une dizaine d’années, Karina a trouvé un donneur pour une transplantation bipulmonaire. Six mois après avoir subi une greffe, l’occasion s’est présentée de devenir patiente partenaire, un rôle qu’elle occupe désormais à temps plein. Surtout impliquée en recherche au départ, elle a ensuite donné des formations et collaboré à divers projets, dont la rédaction de 3 chapitres d’un manuel sur la prise de décision partagée, publié par l’Université d’Oxford. « Tout cela donne un sens à ce que j’ai vécu. J’ai maintenant le sentiment de contribuer à la société. »
Faire œuvre utile, c’est aussi l’impression qu’elle retire de sa participation au comité de responsabilité sociale et développement durable du CMQ. « C’est un énorme privilège d’en faire partie. J’y apporte la vision d’une personne parmi d’autres qui a beaucoup navigué dans le système, qui y a vu plusieurs injustices et qui est sensible à ces enjeux. C’est un leurre de penser que tout le monde vit la même expérience dans le réseau. » Elle croit qu’en dénonçant les situations qui doivent l’être, les patients partenaires contribuent à une conscientisation qui amènera les futurs médecins à se mettre plus souvent dans la peau des patients.
« Le professionnel doit être capable d’écouter ce que dit la personne devant lui, même lorsque cette réalité n’est pas agréable à entendre. »Karina Prévost, patiente partenaire
Finie l’époque du « Pour nous, sans nous »
« Pour nous, sans nous », c’est l’expression qui résume le fait de décider ce qui convient aux patients, sans les consulter. Pour Karina Prévost, il faut se départir une fois pour toutes de cette logique. « Il y a eu beaucoup d’améliorations dans le réseau, mais on vit encore plein d’aberrations. Par exemple, j’ai dû subir une opération récemment. Lors du suivi, le médecin a décrété que j’étais guérie alors que je ne pouvais pas marcher… J’ai dû trouver mes propres façons de me réhabiliter. Il restait des trous dans mon parcours de soins, car on ne m’a pas demandé quels étaient mes besoins. »
Claudia Houle croit également qu’il reste du chemin à parcourir et des domaines à défricher. « Il faut développer davantage le partenariat dans les soins directs aux patients. Aussi, il faut s’assurer qu’on utilise les patients partenaires à bon escient. Si c’est simplement pour cocher une case ou fournir un sceau d’approbation à la fin d’une recherche ou sur un rapport de comité, ce n’est pas une vraie collaboration. »
Bref, il y a fort à parier que ce mouvement, qui a le vent dans les voiles, continuera de prendre de l’ampleur. Pour Karina Prévost, la prochaine étape serait de faire reconnaître officiellement le principe de partenariat patient par le gouvernement québécois. Quant à Claudia Houle, elle lance cet objectif ambitieux : « Tant que le patient ne se sentira pas comme un partenaire en mettant le pied dans un hôpital, il restera du travail à faire. »
Le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public œuvre à faciliter l’intégration des patients partenaires dans le système de santé et cherche continuellement à innover pour amener le concept encore plus loin.
Le Bureau du patient partenaire de l’Université de Montréal favorise l’émergence de solutions de partenariat, qu’il s’agisse d’enseignement, du volet thérapeutique ou de recherche, pour améliorer l’expérience vécue par la patientèle de même que l’efficacité des soins.