Pour un virage écoresponsable en santé!
La Dre Claudel Pétrin-Desrosiers explique comment le milieu de la santé peut faire partie de la solution en 5 questions et réponses.
La crise climatique nous interpelle tous et toutes. Face à un défi d’aussi grande envergure, les efforts ne sauraient être ménagés, tant sur les plans individuel que collectif. Les entreprises et institutions ont un rôle crucial à jouer dans la lutte aux changements climatiques. Le secteur de la santé n’échappe pas à cette responsabilité.
Au Canada, le système de santé produirait jusqu’à 5 % des émissions annuelles totales de gaz à effet de serre1. Ce n’est pas rien. Heureusement, de plus en plus d’organisations du secteur de la santé s’engagent sur la voie de la carboneutralité avec des initiatives porteuses pour l’avenir.
Rappelons qu’une pétition déposée à l’Assemblée nationale en 2022 et soutenue par le Collège des médecins du Québec (CMQ), demandait un plan d’action ministériel pour atteindre la carboneutralité dans le réseau de la santé d’ici 2040.
En 2021, le CMQ a mis sur pied un comité de responsabilité sociale et de développement durable (RSDD) qui propose et met en œuvre des solutions pour réduire son empreinte écologique. De plus, au cours de la dernière année, l’organisation a pris position publiquement sur plusieurs enjeux environnementaux, dont la qualité de l’air dans divers milieux de vie au Québec. Cela s’inscrit dans les orientations du plan stratégique Virage 2023 .
Dans cette foulée, il nous fait plaisir de partager de nouveau avec vous cet entretien inspirant avec la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, tiré du premier numéro de notre webzine Actualité M.D. Très impliquée dans la lutte aux changements climatiques, la Dre Pétrin-Desrosiers est un modèle de lucidité et d’engagement pour nous tous et toutes.
5 questions à la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers
1. Vous souhaitez que le réseau de la santé soit carboneutre d’ici 2040. Pensez-vous que c’est réaliste?
L’objectif de 2040 est appuyé par ce qui se fait ailleurs, notamment au Royaume-Uni. En fait, il y a deux cibles : celle de 2040 pour le réseau de la santé, et une autre en 2046 pour l’ensemble des chaînes d’approvisionnement du réseau. Est-ce qu’on va y parvenir à 100 % au Québec? Je ne sais pas, mais si on atteint disons 80 % de réduction d’émission des GES, on sera déjà sur la bonne trajectoire. Il faut y croire et il faut se fixer des objectifs ambitieux pour être à la hauteur des transformations qui vont être nécessaires. Je pense que l’ambition est importante pour stimuler l’innovation, et pour s’assurer qu’on ne minimise pas l’ampleur du travail qui nous attend.
Quel sera le principal obstacle?
La complexité du réseau et la lourdeur administrative. En ce moment, les échos du terrain nous rapportent que plusieurs professionnels de la santé initient des projets positifs et rassembleurs dans certains CISSS et CIUSSS. Malheureusement, l’information concernant ces initiatives ne circule pas dans l’ensemble du réseau. Il faudra que le ministère assure un partage d’information et établisse des indicateurs communs, par exemple, sur ce qu’est une action environnementale. Si c’est le projet de société qu’on se donne et qu’on mobilise les gens sur le terrain, ça peut mener à de grands changements.
2. Quels sont les trois gestes que les médecins peuvent poser dès aujourd’hui pour améliorer les choses?
Premièrement, appliquer le principe de « choisir avec soin », qui a fait ses preuves d’un point de vue médical. En portant une attention à ce que l’on fait en clinique, en évitant de demander des tests non nécessaires, on prévient le surtraitement et le surdiagnostic.
Deuxièmement, il faut miser sur une approche préventive. En luttant contre la sédentarité, contre différents déterminants ayant un impact négatif sur la santé, on prévient les problèmes de santé chroniques et certaines hospitalisations. On prévient aussi des décès liés à des vagues de chaleur, par exemple.
Troisièmement, on peut commencer en posant des questions sur ce qui se fait dans notre milieu, et si on en a la capacité, joindre un comité ou même en démarrer un. Souvent, c’est la question des déchets qui est prédominante.
3. Que répondez-vous à celles et ceux qui pensent que nos efforts individuels ne suffiront jamais à contrer les changements climatiques?
Il faut le reconnaître, la transformation requise est énorme. Elle va demander plusieurs changements, dont certains qu’on ignore ou qu’on sous-estime à l’heure actuelle. Il faut se rappeler que c’est un marathon, pas un sprint. Personnellement, j’ai toujours de la difficulté à dire que le poids de la transition revient aux individus uniquement. Car même si demain matin, tout le monde faisait du recyclage et du compostage, ce ne serait pas suffisant pour régler le problème. Oui, nos gestes quotidiens ont un impact et permettent de nous conscientiser.
Mais la transition ne se fera pas uniquement dans nos maisons. Ça prend une discussion beaucoup plus globale sur l’aménagement du territoire, la préparation du réseau de la santé, nos politiques d’adaptation, les liens entre nos gouvernements et les industries fossiles, les banques qui financent ces industries… des enjeux qui nous dépassent individuellement et qui doivent être abordés pour réussir la transition et protéger la santé des gens. C’est pourquoi il faut une implication aux niveaux législatif et politique. C’est ce qui produira le plus grand impact.
4. Qu’est-ce qui vous motive à mener ce combat?
Cela fait 10 ans que je suis impliquée dans ce mouvement. À mon sens, on ne peut pas pratiquer la médecine en oubliant l’environnement dans lequel les gens évoluent.
L’engagement est pour moi indissociable du rôle du médecin. Nous avons la chance d’avoir un lien de confiance avec la population, et même une certaine prestance publique. Quand les médecins sonnent l’alarme ou s’expriment sur un enjeu, généralement on les écoute.
Aussi bien utiliser ce privilège efficacement. Pour moi, c’est une façon d’être socialement responsable et de répondre aux besoins de la communauté. Les médecins ont le devoir de promouvoir la santé et le bien-être tant d’un point de vue individuel que collectif, c’est ce que dit notre code de déontologie. C’est un aspect qui me semble souvent mis de côté, au profit de l’approche individuelle.
5. Quel est, selon vous, le plus grand défi des médecins?
C’est une bonne question, il y en a tellement. Je nous souhaite de l’ouverture, autant à l’égard des critiques qui peuvent être formulées à l’égard des médecins – nous ne sommes pas parfaits – mais aussi de la bienveillance de la part de la population. Car au fond, nous voulons tous aller dans la même direction. Que ce soit pour l’organisation des soins de première ligne ou la transition environnementale, tout cela va demander de la bienveillance, de l’ouverture, de la collaboration. Malgré la radicalisation des opinions, notamment sur les réseaux sociaux, nous devons être capables collectivement d’avoir des discussions difficiles mais constructives, plutôt que de rester dans la peur de la critique.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR LA MOBILISATION ÉCORESPONSABLE EN SANTÉ
- Synergie Santé Environnement
- Maillon Vert
- Association québécoise des médecins pour l’environnement
- Réseau d’action pour la santé durable du Québec