Les soins de fin de vie au Québec : où en sommes-nous?
Il y a les législations québécoise et fédérale qui balisent l’aide médicale à mourir. Il y a aussi la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV), une entité indépendante qui exerce une surveillance, analyse les données et joue un rôle-conseil en la matière. Puis il y a le Collège des médecins (CMQ) qui surveille la qualité de l’ensemble des soins de fin de vie. Tour d’horizon de la question et aperçu des prochains jalons à franchir.
Quels sont les quatre types de soins de fin de vie?
- Le refus ou la cessation de traitement, un droit enchâssé dans les chartes et les lois qui assure une distinction claire entre euthanasie et refus de traitement.
- Les soins palliatifs (SP), des soins complets et actifs prodigués aux personnes souffrantes dont la maladie ne répond plus aux traitements curatifs. Sans accélérer ni retarder le décès, ils préservent la meilleure qualité de vie possible jusqu’au dernier souffle, amoindrissant douleur et autres symptômes dans le respect des enjeux sociaux et spirituels propres à chaque être.
- La sédation palliative continue (SPC), qui peut être dispensée de façon terminale ou intermittente, lorsque de la détresse, de la souffrance et/ou des symptômes réfractaires accablent une personne dont le pronostic de survie est de moins de deux semaines. Les protocoles de sédation sont laissés au jugement clinique du médecin.
- L’aide médicale à mourir (AMM), qui est administrée par un médecin, au moyen de médicaments ou de substances, à une personne en fin de vie qui en fait la demande. Ce soin clinique, éthique et légal met un terme à la souffrance en entraînant le décès.
Le volet légal : Québec et fédéral
Le Québec à l’avant-garde
Une lectrice de La Presse publiait récemment cette réflexion dans le quotidien : « Connaître un être brillant en tous points et le voir se dégrader jusqu’à ce qu’il ne sache plus porter une fourchette à sa bouche… Être inconscient de ce qui l’entoure, écrivait Brigitte Meunier, c’est un point de non-retour pour un humain. Choisir de partir en évitant le pire de la déchéance. En se respectant et en respectant ceux qui nous entourent. Préparer cette éventualité n’est que sagesse », concluait-elle.
De l’autre côté de la lorgnette, le Dr Louis Roy, inspecteur au CMQ comptant plus de 30 années de pratique en soins palliatifs, s’exprime ainsi :
« Force est de constater que les moyens mis à la disposition des médecins ont des limites. Malgré les avancées thérapeutiques, nous n’arrivons malheureusement pas à soulager tous les symptômes et les gens en fin de vie continuent de souffrir. Être gardés en état d’inconscience en attendant la mort est inacceptable pour quantité de patients en fin de vie. Et la souffrance ainsi infligée aux proches qui voient des êtres chers dépérir sous leurs yeux est très souvent insoutenable. »Dr Louis Roy, Inspecteur au CMQ comptant plus de 30 années de pratique en soins palliatifs
Après avoir entendu quantité de témoignages de cette nature de la part de médecins ainsi que de personnes malades et proches aidantes, la Commission québécoise spéciale sur la question de mourir dans la dignité a déposé son rapport le 22 mars 2012. Par la suite, le projet de loi no 52 est officiellement devenu, le 5 juin 2014, la Loi concernant les soins de fin de vie (LCSFV), ralliant à la cause une majorité de députés de l’Assemblée nationale. Visant à assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité, la Loi leur donne dès lors le droit d’exprimer librement et clairement leurs dernières volontés, suivant des balises bien établies.
Critères d’admissibilité à l’AMM selon la Loi québécoise (LCSFV)
- La personne souffrante doit être majeure et apte à consentir aux soins;
- Elle doit être assurée au sens de la Loi sur l’assurance maladie;
- Elle doit être atteinte d’une maladie grave et incurable ET sa situation doit se caractériser par un déclin avancé et irréversible de ses capacités;
- Elle doit éprouver des souffrances physiques ou psychiques persistantes et insupportables ne pouvant être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.
Deux législations distinctes
Il y a près de 10 ans, le Québec instaurait un nouveau paradigme, auquel le Canada a mis plus de temps à adhérer. C’est en 2016 que le projet de loi C-14 est entériné par la Chambre des communes et le Sénat, et que la Loi canadienne en matière d’aide médicale à mourir entre en vigueur, permettant aux personnes qui souffrent d’une maladie, d’un problème de santé ou d’une incapacité grave et incurable de demander l’AMM et de l’obtenir suivant des critères d’admissibilité précis. En 2021, des ajustements y ont été apportés (Loi C-7) et dès 2024, le trouble mental fera partie des critères d’admissibilité. Un pas législatif que Québec n’a pas souhaité franchir, compte tenu de l’absence de consensus populationnel et de réticences formulées par les experts, notamment en ce qui a trait aux distinctions ambiguës entre pensées suicidaires et volonté de recevoir l’AMM.
« Ce qu’il faut préciser, c’est qu’au fédéral, il n’y a pas de loi comme telle sur l’AMM, explique l’honorable Pierre J. Dalphond, ex-juge devenu sénateur canadien et membre du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Pour établir un cadre de pratique strict en la matière, le Canada vient plutôt réglementer son Code criminel, en proposant des amendements qui ont ensuite force de loi, ajoute-t-il. Ce fut le cas après l’arrêt Carter, par la Cour suprême, afin de consentir aux personnes le droit de mettre dignement fin à leurs souffrances, avec l’aide de médecins. Puis, devant la décision de la Cour supérieure du Québec à la suite des contestations de Nicole Gladu et de Jean Truchon, des amendements ont été apportés afin de permettre aux personnes atteintes de handicaps incurables de recourir à l’AMM pour les soulager de souffrances devenues insoutenables », précise le sénateur.
Au Québec, c’est différent. En effet, le 7 juin 2023, le projet de loi no 11 a été sanctionné par 103 des 125 députés de l’Assemblée nationale, signe d’une réelle mobilisation transpartisane sur la question des soins de fin de vie. Cette nouvelle mouture de la législation québécoise assure l’élargissement de la LCSFV de diverses façons :
- en retirant le critère de fin de vie des conditions d’admissibilité à l’AMM;
- en permettant aux infirmières et infirmiers praticiens spécialisés (IPS) d’administrer tous les soins de fin de vie (dès décembre 2023);
- en permettant aux infirmières et infirmiers et aux IPS de constater les décès au même titre que les médecins;
- en obligeant les maisons de soins palliatifs et les hôpitaux privés à inclure l’AMM dans leur offre de soins;
- en considérant comme admissibles à l’AMM les personnes ayant une déficience physique grave entraînant des incapacités significatives et persistantes (à compter de mars 2024);
- en permettant aux personnes qu’une maladie cognitive rend inaptes à consentir aux soins de bénéficier d’une demande anticipée d’AMM (d’ici juin 2025).
« Ce qui fait la force de la législation québécoise, estime Luc Thériault, député bloquiste à la Chambre des communes, membre du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir et vice-président du Comité permanent de la santé, c’est que tous les soins de fin de vie y sont inscrits dans un continuum, de la cessation de traitement jusqu’à l’aide médicale à mourir, en passant par les soins palliatifs et la sédation palliative continue. Au fédéral, on judiciarise plutôt le processus politique. Les législateurs sont sans cesse à la remorque des jugements des tribunaux et font ainsi porter le fardeau légal aux personnes malades, à bout de souffle et vulnérables, qui doivent se débattre pour faire valoir leur point de vue et entamer des grèves de la faim, par exemple, pour se faire entendre. »
Une suite mouvementée
Un bras de fer s’annonce donc déjà entre Québec et Ottawa puisque pour permettre les demandes anticipées, le Code criminel – de juridiction fédérale – doit être amendé. Actuellement, ce dernier ne permet l’AMM que si les patientes et patients concernés y consentent jusqu’à la toute fin. Pourtant, la population semble d’emblée ralliée à la cause : lors d’un sondage Ipsos réalisé en 2022, 8 Canadiens sur 10 se disaient favorables aux demandes anticipées.
Sonia Bélanger, chargée du dossier à titre de ministre québécoise déléguée à la Santé, déclarait, au moment de l’adoption du projet de loi no 11, en juin dernier, avoir besoin d’un délai de 24 mois pour orchestrer le processus des demandes anticipées avec les milieux de soins. « On doit rencontrer les ordres professionnels, mettre en place les programmes de formation, former correctement les professionnels compétents, monter un registre national et développer une série d’outils cliniques. » Dans la foulée, la ministre adressait une lettre au gouvernement fédéral afin « qu’il fasse cheminer le Code criminel suite à l’adoption de la Loi québécoise ». L’élue caquiste ajoutait même qu’il n’était « pas question d’être à la remorque des lois canadiennes ».
Ce qui fait dire au député fédéral Luc Thériault que le paternalisme médical est chose du passé. « Porter atteinte à l’autodétermination d’une personne, et à son consentement libre et éclairé, c’est porter atteinte à son libre choix. Le rôle de l’État n’est pas de prétendre savoir plus que l’humain ce qui est son bien. Il vise à assurer les conditions d’exercice du libre choix. Car le défi de tout être humain, c’est la qualité de la vie. Et la vie des uns n’est en rien comparable à celle des autres. »
La bataille des tribunaux
Dans la province comme à Ottawa, ce sont les tribunaux (Cour suprême du Canada et Cour supérieure du Québec) qui ont fait bouger les choses et motivé, au fil des ans, les gouvernements à élargir les pratiques en matière de soins de fin de vie. Tout cela, afin de préserver autant que possible la conscience de la personne souffrante jusqu’à la toute fin, de faciliter les adieux avec l’entourage et de favoriser la dignité de toutes et tous.
Faudra-t-il de nouveau saisir les tribunaux pour dénouer le point de discorde qui semble se profiler entre Québec et le fédéral quant aux demandes anticipées d’AMM pour les personnes souffrant entre autres d’Alzheimer et de démence? À ce chapitre, le sénateur Pierre J. Dalphond entrevoit déjà beaucoup de résistance. « Il semble y avoir un mouvement de société voulant que les choses aillent trop vite en ce qui a trait à l’élargissement de l’AMM. Par exemple, un mémo envoyé par la CSFV aux médecins québécois cet été a eu l’effet d’une douche froide dans les milieux médicaux. On voit que les AMM pratiquées sont en hausse, et même sans données réellement probantes en ce sens, on craint les abus et on appelle à la prudence », conclut le sénateur. C’est pour ces raisons que celui-ci ne serait pas surpris que les politiciens mettent la pédale douce en matière de demandes anticipées d’AMM.
Évaluation et surveillance de la qualité des AMM
- Toute AMM doit être déclarée par le médecin l’ayant administrée.
- La Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) s’assure du respect des critères légaux, de concert avec le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de l’établissement de soins où est pratiquée l’AMM, ou à défaut, avec le Collège des médecins du Québec (CMQ).
La Commission sur les soins de fin de vie
Mission et composition
Entité indépendante née dans la foulée de l’adoption de la LCSFV, la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) a le mandat de surveiller l’application des exigences particulières relatives à l’AMM, et non celui d’évaluer la qualité de l’acte (une responsabilité qui incombe au Collège des médecins du Québec). En parallèle de cette surveillance, la CSFV analyse et compile les données, effectue des rappels et exerce aussi un rôle-conseil auprès de la ministre responsable. Ses conclusions lui permettent de cibler les besoins évolutifs de la population québécoise en matière de soins de fin de vie et d’identifier les limites ou freins d’accès à ceux-ci.
La Commission est formée de 11 membres nommés par le gouvernement du Québec, parmi lesquels on retrouve des professionnels de la santé (médecins, infirmières, pharmaciens, travailleurs sociaux), des juristes (avocats, notaires), des usagers, des éthiciens et des représentants d’établissements médicaux.
« Les commissaires de la CSFV revoient toutes les demandes d’AMM. En la mettant sur pied, le Québec s’est en quelque sorte doté d’un mécanisme de contrôle : l’entité indépendante qu’est la CSFV veille ainsi à la bonne mise en œuvre de la Loi. »Dr Michel Bureau, Président de la Commission
Sondage du CMQ
À la mi-septembre, le CMQ a sondé ses membres. Près de 1 000 médecins ont répondu à l’appel. Voici la compilation des résultats :
- 20 % des médecins ont déjà pratiqué l’AMM;
- 50 % des médecins ont déjà recommandé des soins de fin de vie à leur patientèle;
- 57 % des médecins considèrent que l’offre de soins de fin de vie est appropriée dans leur région;
- 59 % des médecins peinent à bien distinguer les rôles qui incombent au CMQ et à la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) quand il est question d’AMM;
- 65 % des médecins estiment leur degré de connaissance et de compréhension des soins de fin de vie bon ou excellent.
Mise en garde de la CSFV
Une communication adressée par la CSFV aux médecins a fait couler beaucoup d’encre, en août dernier, dans les médias d’ici comme d’ailleurs. Bien que la Commission y eût admis qu’« il était trop tôt pour conclure à une dérive », elle enjoignait aux médecins qui pratiquent les soins de fin de vie de hausser leur niveau de prudence, de rigueur et de vigilance. Ce rappel de la CSFV mentionnait entre autres, qu’« un nombre [croissant] de personnes présentant des situations complexes ont reçu l’AMM [dans les derniers mois, que les] AMM administrées à la limite des conditions imposées par la Loi ou de façon non conforme étaient en hausse, et que des informations erronées sur les limites de la Loi du Québec circulaient entre les prestataires ». La note se terminait par une mise en garde : « le magasinage pour trouver un 2e avis [médical] favorable [à l’AMM] n’est pas une pratique acceptable ».
Lorsqu’on le questionne sur le sujet, le président de la Commission apporte des bémols. « Celles et ceux qui pratiquent les soins de fin de vie au Québec font un travail extraordinaire, souligne le Dr Bureau. C’est même émouvant de lire leurs récits d’AMM, confiait-il récemment lors d’un webinaire du CMQ. Mais les Québécois veulent souvent plus que ce que la Loi permet actuellement, reconnaît-il. Si bien que l’application de la Loi peut parfois s’apparenter à un casse-tête pour les médecins prestataires. »
Des médecins échaudés
Cela dit, le risque de dérive sous-entendu par la CSFV laissait présager une certaine forme de laxisme de la part des médecins prestataires. Or, selon le rapport 2021-2022 de la CSVF, il est stipulé que plus de 99 % des AMM ont été administrées, au Québec, conformément aux exigences de la législation. C’est donc moins de 1 % des cas qui ont été soumis à l’examen des syndics du Collège des médecins du Québec, chargés d’enquêter sur la pratique pour assurer la rigueur et la qualité des actes d’aide médicale à mourir. Et à ce jour, aucun cas n’a justifié un passage devant le conseil de discipline. « Mais comme le critère de fin de vie vient d’être levé, on voit peu à peu surgir de nouveaux profils et cas de figure dans les demandes d’AMM. C’est là qu’il faut rester prudents », remarque le Dr Bureau.
« Des médecins nous contactent régulièrement pour nous faire part de leur inquiétude à prodiguer les différents soins de fin de vie », soutenait le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ, dans sa réponse officielle à la note de la CSFV. « Dans certains cas, même, ils nous confient ne plus vouloir les pratiquer par crainte de représailles. Ils s’expriment aussi de la sorte entre pairs, sur leurs lieux de travail et dans différents forums de discussion », ajoutait-il.
Et les craintes des médecins, actuellement d’ordre disciplinaire, pourraient bientôt être d’une tout autre nature. En effet, même si le gouvernement du Québec et ses juristes tiennent à rassurer la communauté médicale sur la portée de la nouvelle LCSFV au regard des limitations actuelles du Code criminel, celui-ci laisse entrevoir des peines d’emprisonnement potentielles de 14 ans pour les médecins qui permettraient à des patientes et patients souffrant de maladie neurocognitive de procéder à des demandes anticipées d’AMM en prévision d’une dégénérescence de leur état, d’ici à ce qu’il soit éventuellement amendé.
Hausse des demandes d’AMM
À titre d’ordre professionnel chargé de la protection du public et préoccupé par l’accès aux soins, le CMQ s’inquiète d’un tel état de fait. « Il ne faut pas voir le nombre de cliniciennes et cliniciens aptes à administrer les soins de fin de vie diminuer alors que la demande, elle, va en s’accroissant », soulevait le Dr Gaudreault dans un message qu’il adressait récemment aux médecins.
À preuve, les AMM représentaient l’an dernier un peu plus de 5 % des décès enregistrés dans la province, faisant du Québec le premier administrateur d’aide médicale à mourir, devant la Belgique (dont les statistiques sont trois fois moins élevées) et la Suisse (où elles sont 4,5 fois moins importantes). Et à titre comparatif, les décès par AMM en Ontario sont deux fois moindres qu’au Québec. De fait, si on comptait, il y a cinq ans, moins de 1 000 AMM administrées annuellement dans la province, 3 663 l’ont été l’an dernier et les projections pour 2023 estiment ce nombre à plus de 5 000. Le vieillissement de la population, un meilleur accès aux soins de fin de vie partout sur le territoire québécois, le refus de subir des traitements agressifs et une population mieux informée sur l’AMM seraient les principaux facteurs explicatifs de cette hausse.
Lors de la plus récente édition des Rendez-vous du Collège, la chercheuse et docteure en psychologie communautaire, Isabelle Marcoux, est venue rappeler la complexité inhérente à tout exercice de contrôle des pratiques d’AMM. Faudrait-il envisager de procéder à des études indépendantes sur les comités de contrôle de l’acte, comme dans certains pays du monde où l’AMM est autorisée? La question mérite réflexion.
Statistiques québécoises sur l’aide médicale à mourir
Dans son plus récent rapport annuel d’activités, rendu public le 9 décembre 2022 et couvrant la période du 1er avril 2021 au 31 mars 2022, la Commission sur les soins de fin de vie (CSFV) brosse le portrait suivant :
- Les AMM ont eu lieu dans les hôpitaux (54 %), à domicile (33 %), en CHSLD (8 %) et en maisons de soins palliatifs (5 %).
- 1 418 médecins ont pratiqué des AMM au Québec durant cette période, dont une très forte majorité (85 %) de médecins de famille.
Les considérants et la position du CMQ
Le Collège répond présent
Depuis bientôt 15 ans, le CMQ prend activement part aux débats politiques entourant les soins de fin de vie. Et ce, tant à Québec qu’à Ottawa. En mettant ses membres et des experts tous azimuts à contribution, le Collège s’interroge, prend position et s’exprime sur la place publique. Tout cela, afin de concrétiser sa mission de protéger le public en offrant une médecine de qualité.
Plusieurs mémoires relatifs aux soins de fin de vie ont à ce jour été rédigés, déposés et défendus en commissions parlementaires par le CMQ. Au fédéral, on n’a qu’à penser à celui relatif au projet de loi C-7, et au Québec, à ceux sur les projets de loi no 38 et no 11.
Faire évoluer la pratique
« Notre ordre professionnel a le devoir de s’assurer que les soins de fin de vie, dont l’AMM, sont disponibles et prodigués dans le respect de la loi, conformément à la volonté des personnes souffrantes. Le CMQ doit aussi veiller à ce que rien ne vienne décourager les médecins du Québec d’administrer l’AMM, ni ne vienne entraver son accès pour les personnes qui en ont besoin et qui y ont droit » soutient le président du CMQ.
Et pour ce faire, l’ordre professionnel continuera de plaider pour un élargissement des soins de fin de vie, en fonction de l’évolution de la société. Après le retrait de la notion de « fin de vie » des critères d’admissibilité et l’ajout à la Loi des demandes anticipées d’AMM en cas de maladies neurocognitives, le CMQ propose que la réflexion se poursuive quant aux rôles et obligations des tiers de confiance, aux mesures à mettre en place pour l’administration des soins de fin de vie à domicile et à l’admissibilité des gens souffrant d’un trouble mental. D’ailleurs, à ce sujet, le député bloquiste Luc Thériault estime que « le rapport des experts du Comité spécial mixte de la Chambre des communes répond aux préoccupations des Québécoises et Québécois en lien avec les troubles mentaux et l’AMM. Il fournit aussi des balises et principes de précaution clairs, de façon à bien établir les protocoles d’administration. Son examen pourrait peut-être permettre d’heureux dénouements à ce sujet. »
De la confusion
Plus le temps passe et plus la pratique d’une médecine de compassion devient complexe pour les médecins du Québec.
« Une loi québécoise et une loi fédérale sont actuellement en place, présentant – chacune de leur côté – des différences et des particularités. Cela ajoute à la complexité et engendre de la confusion. »Dr Mauril Gaudreault, Président du Collège des médecins du Québec
Le CMQ continuera d’intervenir auprès des instances gouvernementales afin de prôner une harmonisation rapide des deux législations. « Car la clarté, au chapitre de la loi, doit vite être de mise, tant au bénéfice des patientes et patients qu’à celui des médecins qui administrent l’aide médicale à mourir », conclut le président du CMQ.
Les soins de fin de vie dans le monde
L’aide médicale à mourir est à ce jour légalisée dans plusieurs pays du globe :
- Canada
- Colombie
- Espagne
- Belgique
- Pays-Bas
- Luxembourg
- Allemagne
- Autriche
- Nouvelle-Zélande
- Dans la majeure partie de l’Australie
Elle est également permise dans certains états américains (Washington, Oregon, Californie, Hawaii, Nouveau-Mexique, Colorado, Montana, Vermont, Maine, New Jersey, District of Columbia).
Des débats au sujet d’une légalisation possible de l’AMM ont cours au Pérou, au Chili, en Uruguay, en Grande-Bretagne, en Irlande, en France, au Portugal et en Italie.
Autres échos et perspectives
Si l’aide médicale à mourir fait à ce point consensus dans la population québécoise, c’est parce que la société évolue. Et aux dires du sociologue et professeur Jacques Roy, quatre facteurs permettent d’expliquer cette évolution dont la quête d’autonomie, le recul de l’argument d’autorité, la recherche d’une qualité de vie et le respect des volontés individuelles. « On sent que les patients souhaitent se réapproprier leur souffrance et avoir une certaine prise de contrôle sur leur existence. C’est un peu comme si l’AMM redonnait un certain pouvoir aux citoyennes et citoyens qui souffrent », avance-t-il.
Le journaliste et chroniqueur Patrick Lagacé a beaucoup écrit sur l’aide médicale à mourir. Il a même assisté à une AMM qu’il a décrite comme « une célébration de la vie et de la fin des souffrances ». Pour lui, les médecins qui pratiquent l’AMM font œuvre utile. « Mais ça reste une option offerte à la population, un choix, quand on se conforme aux critères d’admissibilité », précise-t-il.
Le sénateur Pierre J. Dalphond est d’avis que la suite du débat sur l’AMM doit être nuancée et faite avec doigté. « Pour comprendre la souffrance et protéger le droit de tous à la dignité humaine, soutient-il, il faut éviter les généralités, les distorsions et la manipulation de la vérité, sans instrumentaliser des groupes comme les personnes handicapées, par exemple. Mais comme société, voulons-nous que des malades non admissibles à l’AMM soient forcés de se jeter devant une rame de métro pour mettre fin à leurs souffrances insoutenables? » La question se pose et résonne fort.
Cela dit, sur les soins de fin de vie, Québec et Ottawa n’avancent pas au même rythme et n’ont pas la même approche : un vaste dialogue social a eu lieu sur le sujet depuis plus d’une décennie au Québec alors que dans le reste du Canada, les tribunaux ont fait office de catalyseur.
L’agenda politique d’Ottawa et de Québec est aussi bien distinct : de futures élections fédérales, en 2024 ou 2025, pourraient retarder le processus d’amendement du Code criminel en ce qui a trait aux demandes anticipées, réclamées par le Québec, d’autant que les partis fédéraux ne s’entendent pas sur l’enjeu parce que les autres provinces canadiennes ne sont pas rendues aussi loin en ce qui a trait à l’aide médicale à mourir.
Or, dans l’entremise, ce sont les personnes souffrantes et leurs proches, au Québec, qui doivent prendre leur mal en patience et vivre dans l’incertitude. Et ce sont les médecins qui doivent continuer d’agir en respectant la loi et leurs obligations déontologiques.