L’éléphant dans la pièce
J’ai participé cette semaine à la nouvelle Table nationale de concertation sur la valorisation de la médecine de famille, coprésidée par le MSSS et la FMOQ, en présence d’autres partenaires dont les facultés de médecine.
« Voyons, Mauril, t’es beaucoup trop talentueux pour n’être qu’un médecin de famille! ». Comme si la médecine familiale était le parent pauvre des spécialités médicales. Comme si vouloir pratiquer une médecine de proximité en soignant les membres d’une famille, cela manquait d’ambition.
- Mauril Gaudreault
président du Collège des médecins du Québec
Le commentaire peut sembler anodin pour certains, mais il fait son chemin insidieusement dans notre esprit. Et plus encore dans l’esprit des apprenantes et apprenants. Lors de la tournée des pôles en santé du Québec que j’effectue depuis 18 mois, de nombreux étudiants et étudiantes, et même des résidentes et résidents, m’ont avoué avoir entendu les mêmes propos, 50 ans après moi. Ces propos en ont découragé plusieurs à choisir la médecine familiale.
Le désintéressement à l’égard de cette spécialité commence à se forger tôt, sur les bancs des universités et dans les couloirs des hôpitaux. Et toutes et tous, à titre de médecins, nous contribuons – par nos mots et nos réflexions – à le perpétuer. Il est plus que temps d’en prendre conscience et de revoir nos schèmes de pensée.
Un service essentiel
La COVID nous l’a prouvé : devant un manque criant de préposés aux bénéficiaires et d’infirmières, le réseau de la santé a été mis à rude épreuve. Et j’ajouterai que lorsque les médecins de famille manquent à l’appel, le réseau est aussi sérieusement ébranlé.
Hors des grands centres, les tours de garde à l’urgence, les suivis de grossesse, les soins palliatifs et les soins à domicile sont souvent assurés par les médecins de famille. Ils sont partout, sur tous les fronts, et ils interviennent auprès d’une variété de patientèles. Il faut donc un bagage tous azimuts et sans cesse mis à jour pour bien diagnostiquer et traiter tous les cas examinés.
La formation dispensée aux médecins de famille doit donc être remaniée. Et par extension, la pratique doit être revalorisée, car, à mon sens, il y a 60 spécialités médicales au Québec. Pas 59 et à côté, les médecins de famille.
Je plaide pour que davantage de médecins de famille enseignent en faculté de médecine : nos futurs collègues ont besoin de modèles forts, de leaders inspirés et inspirants, qui ont la passion de leur profession et une riche expérience de terrain. C’est là que naissent les vocations!
Une première ligne repensée
Pour repositionner la médecine de famille au cœur du réseau de la santé, il faut redéfinir la première ligne en favorisant la collaboration intra et interprofessionnelle. En plaidant pour l’élargissement des pratiques professionnelles, incluant le partage du diagnostic. En misant sur des soins de proximité dispensés par des équipes de professionnels dont les médecins de famille font partie intégrante. En offrant des occasions de collaboration aux futurs médecins dès leur résidence. En mettant fin au dénigrement de la pratique familiale, dans nos universités comme dans nos cabinets et établissements de santé. En allégeant la charge administrative des médecins de famille. En revoyant les PEM et PREM parfois si contraignants. Et en délestant les médecins de famille d’une foule de tâches administratives sous lesquelles ils croulent.
Un CMQ à l’écoute et engagé
Le Collège pose et continuera de poser des gestes concrets pour revaloriser la médecine de famille. On n’a qu’à penser au chantier que nous avons lancé avec des partenaires sur l’accès à un médecin et la cessation d’exercice, à celui sur l’élargissement des pratiques, au groupe de travail mis sur pied pour examiner le futur de la formation et à la réflexion enclenchée pour que le rôle du médecin de famille évolue au sein d’une première ligne en santé renouvelée.
Des obstacles se dressent encore sur notre chemin. Certains extrinsèques (pénurie de ressources humaines, lourdeur bureaucratique, difficultés de communication entre ordres professionnels, etc.) et d’autres intrinsèques (réticence au partage d’activités relevant traditionnellement des médecins, travail en silo, dénigrement de la profession). Mais nous les surmonterons en continuant de prendre part à toutes les réflexions et tables de travail traitant de la médecine familiale et de son rôle central dans notre société.
Il faut oser parler, en toute franchise, du dénigrement, ce fameux éléphant dans la pièce. Un dénigrement qui n’a pas lieu d’être, car le médecin de famille, en offrant des soins de proximité, contribue à la santé populationnelle dans sa globalité.