Le Dr Norbert Dion : l’oncologie à échelle humaine

Il a accompagné des milliers de personnes dans leur traversée du cancer. Plus d’une fois, ses interventions chirurgicales, dont certaines d’une complexité remarquable, ont sauvé des vies. S’intéresser à l’être humain, au-delà du protocole, telle a toujours été son approche. Pratiquant une médecine centrée sur la personne et ses besoins, le Dr Norbert Dion nous ouvre aujourd’hui les portes de son univers.

Photo : Dr Norbert Dion (à gauche) est en compagnie du Dr Sébastien Labonté, pathologiste spécialisé en tumeurs des os et des tissus mous au CHU de Québec-Université Laval.

La route l’ayant conduit vers l’oncologie n’était pas tracée d’avance. Toute une série de « clins d’œil de la vie », comme il aime les nommer, ont mené le Dr Norbert Dion sur cette voie, qu’il n’a jamais regretté d’avoir empruntée. Après quelque 25 années passées auprès des patients en oncologie à l’Hôtel-Dieu du CHU de Québec-Université Laval, il a toujours le feu sacré. « C’est un travail où j’ai le sentiment de faire œuvre utile. Oui, ce sont parfois des heures de fou. Mais j’en retire de belles leçons de vie, de résilience », affirme-t-il d’emblée.

Entre les diagnostics, les traitements et le suivi de tumeurs bénignes et malignes du système musculosquelettique, son quotidien n’a rien de routinier. Le chirurgien orthopédiste oncologue se spécialise notamment dans le traitement des sarcomes, ces tumeurs malignes rares qui se logent dans les tissus mous ou osseux, dans des sites extrêmement variés du corps humain. « On peut opérer dans une main, un genou, le faire conjointement avec d’autres collègues pour des tumeurs impliquant le bassin ou la colonne, faire des reconstructions de toutes sortes… C’est cette variété qui m’attirait dans ce domaine : je ne voulais pas être limité à une seule articulation », nous raconte-t-il. Il intervient également dans les cas de métastases osseuses, surtout les plus complexes.

Alors que la majorité de son temps est consacrée à l’oncologie, on peut aussi le croiser à l’Hôpital Saint-François d’Assise, où il fait partie du système de garde en orthopédie générale, comme ses autres collègues orthopédistes. À l’Enfant-Jésus, on le sollicite à l’occasion pour des cas de chirurgies exceptionnelles. Enfin, pour certains sarcomes ou tumeurs chez les enfants et les adolescents, il œuvre au Centre mère-enfant Soleil. Et c’est sans oublier ses activités d’enseignement universitaire et de mentorat auprès de la relève.

Prendre le temps… quand tout nous pousse à faire vite

Malgré son horaire chargé, le Dr Dion a une seule priorité et c’est la personne qui se trouve devant lui, au moment présent. Dans une société qui nous incite à aller toujours plus vite, le clinicien a plutôt à cœur de faire mieux. « Je comprends qu’il faut voir des patients, mais ce qui compte pour moi, c’est de m’assurer que la personne qui quitte mon bureau a eu réponse à ses questions. »

Pour le spécialiste, le temps consacré à expliquer et à démystifier la procédure ou la maladie permet de mieux préparer les patients à différentes éventualités. Cette approche s’inspire de celle du Dr Henri-Louis Bouchard, un mentor qui l’a influencé en début de carrière : « C’était un humain exceptionnel. Il prenait le temps de s’asseoir avec les patients, de jaser avec eux. J’ai beaucoup appris de son savoir-être. » Ce modèle, il l’incarne aujourd’hui auprès de résidents en orthopédie, à qui il transmet ces mêmes valeurs.

Écoute et empathie

Au-delà du savoir-faire que requiert le travail chirurgical, la pratique en oncologie fait largement appel au savoir-être. Selon le Dr Dion, l’écoute est la principale qualité requise chez un médecin oncologue. « Je trouve difficile de voir des gens fonctionner selon des protocoles A, B, puis C, sans tenir compte de la personne s’y rattachant. Les protocoles sont importants, mais ils ne sont pas coulés dans le béton. Parfois, il faut moduler notre approche selon ce que le patient veut, et pour cela, il faut prendre la peine de le lui demander. Sa réponse pourrait nous surprendre. »

La première fois qu’une de ses patientes, relativement âgée, lui a exprimé le souhait de ne pas être opérée, ce refus fut difficile à accepter pour le chirurgien. « On se remet d’abord en question… Est-ce que j’ai dit la mauvaise chose? Est-ce que j’ai mal expliqué? Puis, on comprend qu’il ne s’agit pas de cela. La personne a simplement jugé que, pour elle, cette option n’était pas acceptable. Qu’elle préfère vivre avec les conséquences possibles de ne pas subir d’opération. »

Outre l’écoute, l’empathie est une autre qualité essentielle pour exercer dans ce domaine. « Le patient doit sentir qu’on est avec lui et que l’on comprend que sa situation est difficile. » Faire preuve d’empathie, c’est aussi utiliser les bons mots et s’assurer d’être bien compris.

« J’essaie de traiter les patients comme j’imagine que je voudrais être traité. Et comme je souhaiterais que mes proches le soient. »
Dr Norbert Dion
Tracer une ligne

Le fait de se rendre disponible émotivement pour des personnes parfois très souffrantes peut toutefois être exigeant. Certains cas sont particulièrement émouvants, notamment ceux de jeunes parents ou d’enfants. L’empathie peut alors devenir un piège conduisant à l’épuisement.

Or, pour le clinicien, être empathique ne signifie pas de porter sur ses épaules la souffrance de chaque personne, mais plutôt de se montrer bienveillant et sensible. « Je peux être empathique à la tristesse de la personne devant moi, sans forcément pleurer avec elle. » Le médecin et l’humain ne font qu’un, mais il importe de tracer une limite. « Il faut pouvoir se dire : cet événement est malheureux, mais je suis en santé, je vais bien. Cela permet aussi de relativiser nos petits malheurs », ajoute-t-il.

Le médecin aime bien relire à l’occasion un passage du roman Oscar et la dame rose d’Éric-Emmanuel Schmitt qui, à ses yeux, résume parfaitement son rôle. Il n’hésite pas à partager avec les résidents cette lecture qui fait du bien!

Ce n'est pas de votre faute si vous êtes obligé d'annoncer des mauvaises nouvelles aux gens, des maladies aux noms latins et des guérisons impossibles. Faut vous détendre. Vous décontracter. Vous n'êtes pas Dieu le Père. Ce n'est pas vous qui commandez à la nature. Vous êtes juste réparateur. Faut lever le pied, docteur, relâcher la pression et ne pas vous donner trop d'importance, sinon vous n'allez pas pouvoir continuer ce métier longtemps.
– Éric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose
« Vais-je m’en sortir? »

Travailler en oncologie, c’est composer avec des nouvelles difficiles, de l’incertitude, et des pronostics parfois sombres. Fréquemment, le Dr Dion est amené à répondre à des questions délicates. « Les gens veulent savoir s’ils vont guérir. D’autres se préoccupent de l’impact de la chirurgie sur leur capacité de fonctionner et de réaliser leurs activités quotidiennes. D’autres encore, une fois la chirurgie réalisée, craignent une récidive. »

Aborder ces questions exige de la sensibilité et du tact. La clé, selon lui, est de moduler son discours en fonction de ce qu’exprime la personne. « Il n’y a pas de recette unique. Certains patients veulent connaître tous les détails. D’autres préfèrent en savoir le moins possible. Aussi, de plus en plus, il y a des différences culturelles à respecter. C’est à nous, le personnel soignant, de nous adapter, de modifier nos façons de communiquer. »

Ces patients que l’on n’oublie pas

La possibilité de tisser des liens à long terme avec les patients est précieuse pour le chirurgien, et c’est ce que lui permet son rôle. Pour les personnes chez qui on a retiré une tumeur maligne, les suivis dureront 10 ans, alors que, pour celles qui ont une endoprothèse, le suivi peut s’échelonner sur 20 ans et plus. Le fait de constater l’évolution de ces gens, dont les perspectives de survie ont pu jadis être compromises, touche une corde sensible chez le médecin.

« Il y a quelques semaines, une patiente que j’avais opérée à la jambe à l’âge de 19 ans est venue à son rendez-vous. Elle a maintenant 40 ans et elle était accompagnée de son fils de 17 ans. C’était touchant de voir que cet adolescent avait envie de vivre ce moment avec sa mère. »

Un autre moment magique se produit chaque fois qu’un jeune patient se présente pour la toute première fois à un suivi, sans ses parents. « Tout à coup, on découvre vraiment la personne, le jeune adulte en devenir, avec des projets d’études, et parfois même le rêve de fonder une famille. Immanquablement, à la fin de ces rencontres, je dis au jeune à quel point ça me rend fier de voir où il est rendu aujourd’hui. »

Ces « petits événements marquants », comme il les appelle, nourrissent l’âme de ce médecin, lui-même père de 4 enfants.

23 heures dans la vie d’un chirurgien

Outre l’aspect humain, les défis techniques liés à certaines interventions ont également marqué le chirurgien orthopédiste au fil du temps. Le Dr Dion se souvient entre autres d’une chirurgie extrêmement complexe qu’il a orchestrée pour une patiente d’une quarantaine d’années. « Elle a malheureusement développé une complication liée à son traitement de sarcome. Les options étaient limitées, et je ne savais pas trop comment j’allais m’y prendre pour réussir l’opération. »

Ce cas l’a habité pendant un moment, jusque dans son sommeil. Puis, un matin, il s’est réveillé avec une stratégie en tête. « J’ai rassemblé mes collègues dans une salle pour leur exposer mon plan. Autour de moi se trouvaient ma collègue orthopédiste oncologue, un uro-oncologue, une gynéco-oncologue, un chirurgien colorectal, une chirurgienne plastique et un chirurgien vasculaire. Le plan était risqué, mais c’était la dernière chance. » Tous se sont finalement ralliés au scénario, de même que la patiente, à qui l’on a pris soin d’expliquer en détail la procédure.

L’intervention aura duré 23 heures au total. Durant presque une journée entière, le temps semblait suspendu dans cette salle d’opération, transformée en un ballet parfaitement coordonné, où chaque spécialiste entrait en scène et aidait ses pairs. Heureusement, l’histoire se termine bien. « Cette patiente est aujourd’hui rétablie. Elle est la personne la plus résiliente que j’ai rencontrée », affirme celui qui n’oubliera jamais cette journée.

Photo : Le Dr Norbert Dion, aux côtés de précieux collègues, de gauche à droite : les Drs Philippe Bouchard (colo-rectal), Annie Arteau (orthopédiste oncologue), Céline Roberge (plasticienne), Raymond Labbé (chirurgie vasculaire et thoracique), Jean-Marc Lépine (chirurgie spinale) et Marc Bouchard (orthopédiste).
Absent sur la photo : le Dr Étienne Belzile (orthopédiste)… et quelques autres !

Apprendre des autres

Que ce soit à l’étape du diagnostic, du traitement ou de la chirurgie, le Dr Dion travaille en équipe avec des médecins issus d’une multitude de spécialités : radiologie, pathologie, radio-oncologie, hémato-oncologie, chirurgie générale, plastique, colorectale, vasculaire, thoracique... Il s’agit d’une fabuleuse occasion de perfectionner son art. « C’est de l’éducation médicale continue », résume-t-il.

Autres maillons essentiels de cette chaîne, le personnel infirmier et le personnel de réadaptation font partie de ses proches collaborateurs. « Tous les lundis, je m’assois avec la physiothérapeute, l’ergothérapeute, et l’assistante ou l’infirmière-chef de l’étage, puis nous révisons ensemble nos cas de patients hospitalisés et nous discutons de notre plan pour la semaine. » La rencontre peut durer entre 5 et 30 minutes, selon les points à l’ordre du jour. À cela s’ajoutent des contacts réguliers avec l’infirmier-coordonnateur d’orthopédie-oncologie et l’infirmière-pivot, que ce soit dans l’évaluation de dossiers de patients, la coordination des soins ou le suivi périopératoire et à plus long terme.

Pour le médecin, rien de plus normal que ces échanges, qui contribuent à tisser un sentiment d’appartenance et à faire en sorte que chaque membre de l’équipe se sente considéré.

Chirurgiens orthopédistes oncologues

Le Québec compte au total 8 chirurgiens orthopédistes oncologues. Cette poignée de spécialistes œuvre au CHU de Québec-Université Laval (Hôtel-Dieu), au Centre universitaire de santé McGill et à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Afin d’assurer un traitement optimal, la majorité des cas de sarcomes sont pris en charge dans l’un ou l’autre de ces établissements.

Photo : en salle d’opération, entre le professeur et médecin suisse Bruno Fuchs et la Dre Annie Arteau.

Vaincrons-nous le cancer un jour?

C’est un fait bien documenté… le nombre de cancers est en augmentation d’année en année au Québec. Or, une partie de cette hausse est attribuable, en toute logique, à la longévité. « L’augmentation de l’âge moyen est le premier facteur qui explique la hausse de cas, déclare l’oncologue. En excluant l’âge, l’augmentation existe tout de même, mais elle est moins marquée. »

Heureusement, les progrès scientifiques fournissent des armes de plus en plus avancées pour lutter contre ce fléau, nous redonnant ainsi un sentiment d’espoir collectif. Or, comme le souligne à juste titre le Dr Dion, la recherche, surtout menée par des compagnies privées, s’intéresse d’abord aux types de cancers dont la prévalence est élevée au sein de la population, comme le cancer du sein ou de la prostate. D’autres types de cancers, notamment les sarcomes, qui représentent à peine 1 % des cas, bénéficient de budgets de recherche beaucoup plus modestes et font principalement l’objet de travaux en milieu universitaire.

« La recherche est importante, mais il faut aussi que de l’argent soit injecté dans les soins à domicile, les soins palliatifs, les soins de fin de vie. Ces soins se sont beaucoup améliorés en 30 ans, mais il faut continuer. Car la réalité, c’est que la médecine n’aura pas toujours la réponse. Et lorsque nous n’avons plus la réponse, il faut éviter à tout prix que les gens se sentent abandonnés. Le système doit continuer de les soutenir, avec une offre de soins différente », poursuit-il avec réalisme et lucidité.

Lorsqu’un patient se sent abandonné, c’est un échec pour notre réseau de la santé.
Dr Norbert Dion
Un message d’espoir

Alors, que dire à une personne qui reçoit aujourd’hui un diagnostic de cancer? Essentiellement, le Dr Dion lui livrerait un message d’espoir. « Nous avons au Québec d’excellents soins de santé, il y a plein d’équipes compétentes qui font du bon boulot. Je dirais donc à cette personne qu’elle sera bien prise en charge. On ne la laissera pas tomber. »

À l’heure de la réforme en santé, au moment où le mot d’ordre est de faire plus avec moins, le Dr Dion émet toutefois cette mise en garde : « Nous avons de grosses structures, de gros CHU, nous essayons de centraliser les rendez-vous. Le danger est qu’on perde de vue le patient. Il ne faudrait surtout pas dépersonnaliser les soins. » Voilà qui, pour lui, résume l’essentiel. « Si nous sommes là, c’est pour servir les patients. Ne l’oublions pas. »

Membres de l’équipe des sarcomes musculosquelettiques du CHU de Québec-Université Laval
1re rangée, de gauche à droite : Les Dres Nathalie Lessard et Isabelle Germain, radio-oncologues; Marie-Christine Lebel et Véronique Gagnon, infirmières-pivots.
2e rangée, de gauche à droite : Les Drs Vincent Castonguay, Christopher Lemieux, hémato-oncologues; le Dr Norbert Dion, chirurgien orthopédiste oncologue; les Drs Nicolas Marcoux et Maxime Chénard-Poirier, hémato-oncologues.

Quelques données sur le cancer
  • Chaque jour, le Québec recense en moyenne 185 nouveaux cas de cancer*.
  • Ce nombre augmente d’année en année, notamment en raison du vieillissement et de l’accroissement de la population.
  • Le cancer est la cause de mortalité numéro 1dans la province, se plaçant devant les maladies cardiovasculaires.

* donnée tirée du Registre québécois du cancer (2023)

Le Dr Norbert Dion est chirurgien orthopédiste oncologue au CHU de Québec-Université Laval depuis près de 25 ans. Professeur à l’Université Laval, il est notamment responsable de la division d’orthopédie au sein du Département de chirurgie. En 2023, le Collège des médecins a décerné au Dr Dion la Distinction de la présidence pour souligner son expertise remarquable en chirurgie orthopédique, la qualité exceptionnelle des soins qu’il prodigue à sa patientèle et son approche centrée sur l’humain.