Fin des stérilisations imposées : passer de la parole aux actes

Le Collège des médecins du Québec (CMQ) a vivement condamné les cas rapportés de stérilisations et d’interruptions de grossesse imposées à des femmes des Premières Nations et Inuit, survenus au Québec depuis 1980. Afin d’enrayer une fois pour toutes ces pratiques, il a uni ses efforts à ceux des acteurs du milieu afin d’élaborer un plan d’action concret et applicable sur le terrain. L’heure est à la mobilisation et à la sensibilisation!

Dr Mauril Gaudreault et Suzy Basile

Au cours des dernières années, le CMQ s’est engagé de diverses manières dans la lutte au racisme systémique dans les soins de santé. Aux côtés de la Nation Atikamekw, il a été l’une des premières organisations à reconnaître le Principe de Joyce, qui vise à garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans discrimination, aux services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle. L’automne 2022 a marqué un tournant dans cette démarche, incitant l’ordre professionnel à aller encore plus loin.

Retour sur les événements

Novembre 2022. Une équipe de recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) rend public un rapport relatant des situations inacceptables, vécues par des femmes des Premières Nations et Inuit, ici même au Québec, depuis 1980. Il y est question d’interventions gynécologiques ou obstétricales réalisées à leur insu, ou encore de pressions subies pour consentir à une stérilisation, en dépit de leur jeune âge et sans que d’autres options de contraception leur soient proposées. Nombre de participantes dénoncent également l’attitude négative ou les propos dénigrants du personnel soignant à leur égard.

Faisant grand bruit dans les médias, le rapport suscite une vague d’indignation au sein de la population et du réseau de la santé. De plus, le document contient plusieurs recommandations, dont certaines à l’endroit du Collège des médecins.

À la fois outré et préoccupé par ces témoignages, le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ, tend rapidement la main aux auteures du rapport, condamne sur différentes tribunes les pratiques qui y sont décrites, et effectue un rappel clair à la communauté médicale sur le principe fondamental du consentement aux soins.

« J’ai été bouleversé à la lecture de ce rapport. Les choses ne pouvaient en rester là. Le Collège se devait de donner suite aux recommandations du rapport, de trouver des solutions en collaboration avec les Premières Nations et d’inciter toute personne qui aurait été témoin ou victime de tels actes à les dénoncer auprès des ordres professionnels concernés. »
Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ

Le Conseil d’administration du CMQ met alors sur pied un groupe de réflexion réunissant des acteurs clés du terrain, dont la professeure Suzy Basile, coauteure du rapport. L’objectif? Élaborer un plan d’action concret, visant à enrayer ces actes répréhensibles et ainsi assurer à toute personne, quel que soit son genre, sa culture, sa langue ou ses origines, un accès à des soins respectueux, sécurisants et pleinement consentis.

Recueillir de multiples points de vue

Afin d’élaborer son plan d’action, le groupe de réflexion s’est rapidement mis au travail. Il s’est nourri de l’expertise de divers collaborateurs, a mené un sondage détaillé auprès des médecins et a notamment entendu le témoignage, sous le couvert de l’anonymat, d’une patiente originaire des Premières Nations ayant récemment subi une intervention gynécologique à laquelle elle n’avait pas consenti. Avec empathie et respect, les membres du groupe ont eu l’occasion d’échanger avec elle afin de mieux comprendre son expérience. « Ce partage humain a été extrêmement enrichissant et constructif », estime le Dr Gaudreault.

Un enjeu de protection du public

En faisant entendre leurs voix, les femmes des Premières Nations et Inuit ont fait preuve de courage et de leadership. De plus, leurs récits ont incité le CMQ à adopter une vision encore plus large de cet enjeu, étant donné que d’autres patientèles vulnérables sont aussi à risque de subir une stérilisation ou une interruption de grossesse sans leur consentement éclairé. On pense notamment aux femmes immigrantes, racisées, à celles se trouvant en situation de précarité socioéconomique ou à d’autres ayant un problème de santé mentale.

Ainsi, les actions mises de l’avant par le groupe de réflexion visent ultimement à s’attaquer à toutes les formes de violence obstétricale et à s’assurer que les principes d’équité, de diversité et d’inclusion sont au cœur de la pratique médicale. Cet objectif rejoint la mission du CMQ, qui est de protéger le public en lui offrant une médecine de qualité.

Un plan d’action concret et applicable

Parmi les nombreuses pistes de solutions qui ont émergé de ses travaux, le groupe de réflexion a retenu celles qui étaient les plus concrètes et réalisables à court terme pour constituer son plan d’action. En voici les grandes lignes.

  • Consentement et déontologie

Aucun examen, traitement ou intervention médicale, requis ou non par l’état de santé d’une personne, ne peut être effectué sans le consentement libre et éclairé de celle-ci. Le Code de déontologie des médecins1 est clair à ce sujet. Au-delà d’une obligation déontologique, ce principe du consentement est l’assise de la relation de confiance entre médecin et patient.

Qu’est-ce qu’un consentement libre et éclairé?

La personne doit être:

  • apte à consentir;
  • libre de s’exprimer;
  • libre d’accepter ou de refuser le soin qu’on lui propose.

Le médecin doit :

  • fournir les renseignements et les explications nécessaires à la prise de décision;
  • répondre aux questions de la personne;
  • s’assurer de sa compréhension;
  • lui laisser le temps nécessaire pour arrêter la décision qu’elle juge la meilleure pour elle.

Pour en savoir davantage, consultez le document de référence Le médecin et le consentement aux soins, corédigé par le Collège des médecins du Québec et le Barreau du Québec.

Lorsqu’il est question d’interventions liées à la fertilité et à la grossesse, susceptibles de comporter une forte charge émotive pour la patiente, l’expression du plein consentement est d’autant plus cruciale. C’est sans oublier les facteurs culturels qui entrent en ligne de compte. Ainsi, pour certaines femmes des Premières Nations et Inuit ainsi que pour d’autres personnes dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais, la communication avec le personnel soignant peut s’avérer difficile, ce qui accroît le sentiment de ne pas être entendue ou comprise.

C’est avec ces considérations en tête que le groupe de réflexion a proposé l’ajout d’un préambule au Code de déontologie des médecins. En rappelant les biais propres à la culture dominante et à la médecine occidentale, ce préambule apporte un nouvel éclairage sur les articles du Code. Il rappelle notamment l’importance de tenir compte des facteurs historiques, sociaux et culturels propres aux personnes issues des Premiers Peuples. Ultimement, il invite au respect de la différence, à l’inclusion et à l’humilité dans l’exercice de la médecine, jetant ainsi les bases d’une approche de sécurisation culturelle des soins de santé.

Nouveau préambule au Code de déontologie des médecins


Dans le cadre de sa mission de protéger le public, le Collège des médecins du Québec reconnait que les origines culturelles, occidentales et patriarcales de la médecine au Québec peuvent être responsables de biais dans la construction du réseau de la santé et des services sociaux, des structures de soins et de l’exercice de la médecine.

Ainsi, le Code de déontologie des médecins doit s’inscrire dans la mission du Collège et refléter ses valeurs. À cette fin, trois prémisses ont été retenues pour réaffirmer l’importance d’établir une relation de confiance avec la patientèle et la population. Ces prémisses imprègnent chacun des articles du Code et se décrivent comme suit :

  1. La reconnaissance des facteurs historiques, sociaux et culturels qui sont propres aux personnes issues des Premiers Peuples et qui influencent leur santé et leur bien-être ainsi que les soins de santé qui doivent leur être prodigués;
  2. La reconnaissance du respect de toute culture et de toute identité d’une personne, incluant celle du genre;
  3. La reconnaissance de la discrimination et du racisme systémiques, et de tout système et toute structure qui reproduisent des oppressions et créent des inégalités de pouvoir envers la population, la patientèle, l’équipe soignante et le personnel médical.

  • Formation des médecins

L’éducation constitue l’un des moyens les plus puissants de déconstruire les idées reçues, à l’origine de comportements discriminatoires. Auprès des médecins en exercice ou en devenir, rappeler régulièrement les bonnes pratiques en matière de consentement libre et éclairé et promouvoir une approche de sécurisation culturelle dans les soins de santé font partie des solutions.

Misant sur ces stratégies, le CMQ est à actualiser l’activité de formation ALDO-Québec (aspects légaux, déontologiques et organisationnels de la profession), obligatoire pour obtenir un permis d’exercice de la médecine au Québec. Le module « R », pour « Responsabilité sociale », y sera ajouté et abordera des questions relatives à l’équité, la diversité, l’inclusion et à la santé planétaire.

De plus, l’ordre professionnel lancera dès cet automne une toute nouvelle formation de base en sécurisation culturelle des soins de santé. Élaborée en collaboration avec une diversité d’experts, cette formation amènera les cliniciens à prendre conscience des biais et des structures qui engendrent des inégalités et à trouver des pistes pour y remédier.

Convaincu de l’importance de cette formation, le CMQ la rendra obligatoire pour les équipes œuvrant à la Direction des enquêtes et à la Direction de l’inspection professionnelle. « En tant qu’ordre professionnel, nous devons donner l’exemple », affirme le Dr Gaudreault.

Le président a d’ailleurs fait de la responsabilité sociale son cheval de bataille depuis plusieurs années : « Je l’ai souvent répété, car j’y crois : on doit passer d’une éthique de responsabilité individuelle du médecin envers son patient à une éthique de responsabilité collective de l’ensemble des médecins envers la population qu’ils desservent » soutient-il avec conviction.

« C’est en ayant davantage de considération sociale et une vision collective de leur rôle que les médecins pourront tisser un lien de confiance fort avec leur patientèle et rendre les interactions cliniques plus sécurisantes »
Dr Mauril Gaudreault, président du Collège des médecins du Québec

L’ordre professionnel s’est aussi engagé à revoir le contenu de son atelier de formation continue Le consentement aux soins : au cœur de nos préoccupations, afin d’évaluer comment celui-ci pourrait être bonifié au moyen de consultations avec des partenaires issus des Premières Nations.

  • Informer et sensibiliser

Le CMQ compte saisir toutes les occasions de promouvoir des principes d’équité, de diversité et d’inclusion au sein de la profession, de se prononcer dans le cadre de projets de loi ayant trait à ces questions ou de dénoncer des situations inacceptables lorsqu’elles sont publiquement rapportées.

Que ce soit dans les médias sociaux, dans son site Web ou au moyen de stratégies plus ciblées, il compte faire passer un message de « tolérance zéro » auprès des médecins tout en incitant les personnes qui auraient été victimes ou témoins d’actes répréhensibles à les dénoncer.

De plus, des outils d’information seront rendus accessibles, possiblement en différentes langues, dans des milieux de soins fréquentés par les groupes de personnes plus vulnérables ou davantage concernés par la problématique.

Des pistes de réflexion pour 2024-2027

En pleine préparation de son prochain plan stratégique 2024-2027, le CMQ compte se pencher sur d’autres pistes d’actions soulevées par le groupe de réflexion, qui nécessitent un travail de plus longue haleine avec des partenaires du milieu communautaire, du réseau de la santé ou du système professionnel.

Entre autres, il est à réfléchir aux façons de bonifier l’accompagnement offert au public lors d’un signalement, notamment en expliquant mieux le cheminement d’une demande d’enquête et en rendant l’expérience culturellement sécurisante.

D’autres mesures seront également considérées, dont la création d’un nouveau sondage aux médecins, le recours à une méthodologie d’enquête offrant une vue d’ensemble de la situation, ou encore la suggestion d’ajouts au Code des professions afin de renforcer l’exemplarité en matière de consentement libre et éclairé pour l’ensemble des ordres professionnels. « Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un marathon, et non d’un sprint, concède le Dr Gaudreault, mais grâce à l’excellente collaboration que nous avons développée avec les organismes du milieu, nous arriverons assurément à destination. »

Pour en savoir plus

Consultez l’intégralité du rapport Pour des soins consentis, respectueux et sécurisants, produit par le groupe de réflexion.

Libérer la parole

L’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador et la CSSSPNQL2 ayant clairement formulé leur souhait de voir la recherche se poursuivre, l’équipe de l’UQAT a réalisé une nouvelle collecte de témoignages depuis juillet 2023.

« Nous avons reçu plus de témoignages de cas de stérilisations imposées et de violences obstétricales que nous l’avions prévu. Nous en sommes à analyser ces nouvelles données »
Suzy Basile, professeure et coauteure du rapport

Un rapport de la phase II de cette recherche devrait être déposé auprès des instances des Premières Nations à l’automne 2024.

Quelle sera la prochaine étape? « On ne se le sait pas encore, explique la chercheuse. Une recherche dans les archives pourrait être un complément pertinent, toutefois l’accès aux données et aux documents risque de poser problème. »

Chose certaine, une nouvelle vague de prise de parole des femmes des Premières Nations et Inuit contribuera à rompre le silence qui afflige depuis trop longtemps des familles, voire des communautés entières. On peut également espérer que d’autres personnes ou groupes, inspirés par ces femmes, prennent à leur tour la parole.

Le saviez-vous?
  • En tant que signataire de la Déclaration sur le racisme dirigé contre les Autochtones de la Fédération des ordres des médecins du Canada, le CMQ s’est engagé à « reconnaître le racisme dirigé contre les Autochtones, et toutes les autres formes de racisme, comme étant une inconduite professionnelle».
  • Le CMQ a aussi adopté un énoncé de reconnaissance territoriale et un énoncé de position sur l’équité, la diversité et l’inclusion, qui traduisent son positionnement fort sur ces questions.
  • Il s’est prononcé, à l’automne 2023, sur le projet de loi no 32, portant sur la sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux. Il a alors demandé au gouvernement québécois de reconnaître l’existence du racisme systémique dans le milieu de la santé, de même que le Principe de Joyce, afin de garantir à toutes les personnes autochtones un accès équitable et sécuritaire aux soins.
Sur le radar – Projet de loi sur la criminalisation des stérilisations imposées

Le Sénat canadien étudie actuellement le projet de loi S-250, qui propose d’ériger en infraction criminelle le fait de stériliser une personne contre sa volonté ou sans son consentement. Les sanctions pourraient aller jusqu’à 14 années d’emprisonnement. Le CMQ a été invité à faire entendre son point de vue sur ce thème, qui fera certainement l’objet de discussions au cours des prochains mois.


1 Code de déontologie des médecins, article 28 : « Le médecin doit, sauf urgence, avant d’entreprendre un examen, une investigation, un traitement ou une recherche, obtenir du patient ou de son représentant légal, un consentement libre et éclairé. »

2 Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador.

3 Fédération des ordres des médecins du Canada, Déclaration sur le racisme dirigé contre les Autochtones en reconnaissance de la première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, 30 septembre 2021.