COVID longue, celle dont on ne veut pas prononcer le nom

Comment la COVID longue a-t-elle pris le réseau de la santé de court et comment la patientèle et le personnel soignant naviguent-ils entre obstacles et espoir? Le point sur la situation.

On sait maintenant que chacune des nouvelles vagues de COVID-19 génère une augmentation du nombre de personnes atteintes de la forme chronique de la maladie, qu’on appelle COVID longue. Depuis son apparition, le réseau de la santé s’ajuste à la vitesse grand V, mais il reste beaucoup à faire et sur plusieurs fronts à la fois. Entre obstacles à surmonter et espoir, des spécialistes et des personnes atteintes partagent leur expérience de la maladie.

Une bien mauvaise surprise

À la fin du mois d’avril 2020, Lucy Paquette, alors travailleuse sociale, ressent les premiers symptômes de la COVID-19. Le diagnostic est confirmé le 5 mai 2020, après un test de dépistage positif. Au mois de juillet, elle souffre toujours d’une oppression thoracique, de courbatures, de brouillard cérébral, de maux de tête et de grande fatigue.

Elle consulte à nouveau son médecin de famille, qui connaît bien son historique médical. Après avoir éliminé toutes les autres possibilités, le diagnostic tombe : Lucy est atteinte de la COVID longue. À ce moment, on sait peu de choses sur cette affection post-infectieuse dont le large spectre de symptômes déroute les médecins.

Première vague de COVID-19

Pour rappel, ce qu’on a désigné comme « la première vague » de COVID-19 aura fait 5 000 morts au Québec entre le 25 février et le 11 juillet 2020. Plus de 50 000 personnes ont été infectées dans un même laps de temps, malgré des mesures de santé publique strictes.

Les données, tant sur le comportement du virus et l’apparition de nouveaux variants que sur ses manifestations cliniques, sont colligées et partagées dans la communauté scientifique à la vitesse grand V.

On comprend rapidement que les personnes vulnérables en raison de l’âge ou de problèmes de santé préexistants sont plus à risque de développer une forme sévère de la COVID-19 mettant leur vie en danger. Le début de la campagne de vaccination, le 1er mars 2021, en pleine deuxième vague, arrive comme une lueur d’espoir. Mais le virus réserve au monde entier une bien mauvaise surprise que personne ne pouvait anticiper.

Lorsque Sylvie Béland, adéquatement vaccinée, revient d’un voyage professionnel à Vancouver au début du mois de décembre 2021, elle retourne aussitôt au travail sans se douter qu’elle a contracté la COVID-19. Le 24 décembre, elle doit annuler la réception familiale prévue chez elle. Elle a de la difficulté à respirer et se sent complètement épuisée. Deux semaines plus tard, son état de santé ne s’étant pas amélioré, elle consulte son médecin qui lui prescrit des antibiotiques.

Le traitement n’ayant pas eu l’effet escompté, elle consulte à nouveau. Après des radiographies anormales de ses poumons, on la réfère à un pneumologue. Celui-ci revient tout juste d’une conférence scientifique sur ce qu’on appelle alors le syndrome post-COVID-19. Il lui pose une série de questions sans lien apparent avec ses symptômes, ce qui la laisse perplexe. Quand le spécialiste l’informe que tout converge vers ce qu’on appelle aujourd’hui la COVID longue, elle est médusée. « C’est quoi ça? Je n’en ai jamais entendu parler! » Le pneumologue lui explique qu’il s’agit d’une « séquelle » de la COVID-19 en émergence partout dans le monde.

« Il m’a proposé de consulter un psychologue pour avoir du soutien. Je ne comprenais absolument pas pourquoi. Je pensais que je serais malade un peu plus longtemps que les autres et c’est tout », se rappelle Sylvie Béland. C’était au début de 2022.

Lucy Paquette et Sylvie Béland se disent chanceuses d’avoir été écoutées et immédiatement dirigées vers les ressources médicales appropriées. Mais elles font partie d’une fraction des personnes atteintes de COVID longue entre 2020 et 2022 qui ont été rapidement et correctement diagnostiquées. Encore aujourd’hui, la nature et l’intensité des symptômes varient tellement d’une personne à l’autre qu’il est facile de poser un diagnostic erroné, avec toutes les conséquences que l’on imagine, ce que déplore la Dre Anne Bhéreur, elle-même atteinte de COVID longue depuis 2021.

N’ayant toujours pas pu reprendre sa pratique clinique en médecine de famille et en soins palliatifs au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l’île-de-Montréal en raison de ses limitations quotidiennes, la Dre Bhéreur consacre une partie de l’énergie que lui laisse la maladie à la recherche sur la COVID longue. Elle collabore notamment au comité consultatif des patientes et patients partenaires, au comité directeur du réseau canadien Long COVID Web, en plus de participer au Réseau de prévention, recherche, réponses et résilience face aux crises affectant la santé (PR3CRISA). Elle est également membre du Comité consultatif de l’INESSS sur les affections post-COVID-19.

La Dre Bhéreur comprend de première main la complexité de la maladie, tant du point de vue médical que de celui de la patiente ou du patient.

Les impacts tentaculaires de la COVID longue

Sylvie Béland raconte que ses symptômes liés à la COVID longue sont demeurés gérables pendant un temps. Elle se fatiguait plus vite, avait partiellement perdu l’odorat, mais elle avait pu reprendre son travail de formatrice, jusqu’à ce qu’elle soit réinfectée en janvier 2023.

« C’est là que le calvaire a vraiment commencé pour moi. Je n’avais même pas assez d’énergie pour mon hygiène personnelle ou pour préparer mes repas. Je n’avais pas la force de sortir de mon lit, où je suis restée des semaines entières. J’avais des douleurs articulaires et musculaires si importantes que j’avais du mal à marcher. J’ai eu et j’ai encore des problèmes cognitifs, incluant des troubles de la mémoire et des difficultés d’élocution. J’ai eu une période prolongée de photophobie, une intolérance à la lumière qui a fini par me plonger dans le noir, aux sens propre et figuré. J’ai dû rester des mois sans voir la lumière du jour, sans télévision ni ordinateur. Je suis tombée en dépression. »

« (…) J’ai eu et j’ai encore des problèmes cognitifs, incluant des troubles de la mémoire et des difficultés d’élocution. J’ai eu une période prolongée de photophobie, une intolérance à la lumière qui a fini par me plonger dans le noir, aux sens propre et figuré. J’ai dû rester des mois sans voir la lumière du jour, sans télévision ni ordinateur. Je suis tombée en dépression. »
Sylvie Béland, atteinte de COVID longue

Après de longs mois de réadaptation et de recherche de la médication adéquate pour ses symptômes les plus invalidants, elle a pu retrouver un peu de son autonomie passée. Un peu. Les trois femmes interviewées affirment d’ailleurs qu’il est possible d’apprendre à vivre avec les limitations induites par la COVID longue. Mais ce qu’elles craignent par-dessus tout, c’est d’être infectées à nouveau à la COVID-19, car tous leurs efforts pour réussir à composer avec la maladie pourraient être anéantis en un instant. « Il faut éviter que ça devienne une obsession, mais cette peur pousse à l’isolement pour minimiser le risque d’être à nouveau en contact avec le virus », poursuit Sylvie Béland.

Malgré leur entourage compatissant, leur employeur compréhensif et le soutien financier nécessaire, Sylvie Béland, Lucy Paquette et la Dre Bhéreur se sentent isolées, en partie par la maladie et en partie par l’incompréhension généralisée, notamment face aux malaises post-effort dont elles souffrent toutes les trois. Il s’agit de l’apparition différée ou de l’exacerbation de symptômes à la suite d’un effort (physique, cognitif ou émotionnel) antérieurement toléré, pouvant durer des heures, des jours ou des semaines, voire davantage.

Comment faire comprendre que selon la sévérité de l’atteinte, une conversation téléphonique, une lecture de 20 minutes ou un coup de balai passé dans la maison doivent être soigneusement espacés en fonction de l’énergie disponible? Qu’une demi-journée de travail ou une agréable fête d’amis puisse se comparer à un marathon? Comment expliquer qu’elles ont toujours un prix à payer si elles ne respectent pas les capacités limitées de leur pile qui ne se recharge plus à 100 %, quoi qu’elles fassent?

« Je comprends les personnes qui n’en peuvent plus et ne voient aucune solution à leur situation au point de vouloir mourir. C’est une tragédie, mais je comprends que des personnes atteintes de COVID longue puissent en arriver là », indique Lucy Paquette à l’évocation du cas de Sébastien Verret. Ne voyant pas d’issue pour lui et sa famille, l’homme de 44 ans, atteint de la COVID longue depuis 2020, a demandé l’aide médicale à mourir l’été dernier. Mais à la suite de nombreux témoignages de personnes atteintes, il a plutôt puisé en lui la force de fonder l’Association québécoise de la COVID longue afin de leur venir en aide.

Comme l’explique le professeur-chercheur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, Simon Décary, en plus du défi que représente la COVID longue pour la communauté scientifique et les praticiennes et praticiens de nombreuses disciplines, tous les enjeux autour de la notion d’invalidité et les indemnités qui s’y rattachent dépassent le cadre strictement médical. Avec le nombre de personnes atteintes qui pourrait augmenter de manière constante dans les prochaines années, la COVID longue met en lumière plusieurs problèmes de société.

Des statistiques préoccupantes

À l’heure actuelle, le diagnostic de COVID longue repose sur la présence de symptômes tels que la fatigue, l’essoufflement, le dysfonctionnement cognitif et le malaise post-effort, au moins 3 mois après l’infection confirmée ou présumée.

Selon le plus récent rapport de l’Enquête canadienne sur la santé et les anticorps contre la COVID-19 de Statistique Canada, à l’été 2024 « parmi les adultes ayant déclaré avoir eu une infection confirmée ou suspectée par le SRAS-CoV-2 [COVID-19], 16,7 % ont présenté un SPC [syndrome post-COVID-19] ». Plus de la moitié de ceux-ci « ont signalé des limites notables dans l’exécution de [leurs] activités quotidiennes. »

Une étude de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a été réalisée auprès de 6 000 travailleurs de la santé infectés par la COVID-19 entre le début de la pandémie et le mois de juin 2023. Les données les plus récentes indiquent que, « parmi les TdeS [travailleurs de la santé] ayant rapporté avoir eu la COVID-19, environ 15 % ont présenté des symptômes persistant pendant 12 semaines ou plus après l’infection initiale. Au moment de l’enquête, on estime que 6 % de tous les TdeS du Québec présentaient encore des symptômes d’APC [affection post-COVID-19]. »

Le professeur-chercheur, également codirecteur scientifique du réseau canadien de recherche Long COVID Web, Simon Décary, a quant à lui collaboré à l’étude des données cliniques de 4 000 personnes atteintes de COVID longue pendant 2 ans. Il estime que les probabilités de développer la forme chronique de la COVID-19 se situeraient entre 5 % et 10 %, notamment en raison de la vaccination. Celle-ci ne protège pas à 100 %, mais elle diminuerait considérablement le risque de développer des symptômes à long terme.

Il précise également que les données de cette étude indiquent une résolution des symptômes chez environ 50 % des patientes et patients, après deux ans.

Une étude de données cliniques réalisée auprès de 4 000 patients atteints de COVID longue sur une période de deux ans révèle qu’environ 50 % d’entre eux voient une résolution de leurs symptômes après deux ans.

Vers une meilleure prise en charge

On compte aujourd’hui 15 cliniques spécialisées, réparties dans 10 régions administratives, couvrant ainsi l’ensemble du Québec. Ces cliniques, qui ont graduellement vu le jour depuis le début de la pandémie, ont développé une expertise de premier plan en gestion des soins aux personnes atteintes de COVID longue. Elles offrent des soins multidisciplinaires adaptés à la complexité de la maladie, dispensés par des infirmières, des médecins spécialisés ou des professionnels paramédicaux (par exemple, des physiothérapeutes ou des travailleurs sociaux), en personne ou virtuellement.

Il est nécessaire d’y être référé par un médecin de famille ou une infirmière-praticienne spécialisée (IPS) après un diagnostic probable ou confirmé de COVID longue. Il y aurait actuellement environ 4 000 personnes suivies dans l’ensemble de ces cliniques et environ 2 000 autres individus atteints en attente d’admission. « Je pense aux personnes atteintes tous les jours. Je sais que pour elles, nous n’allons pas assez vite, que les choses n’avancent pas assez vite… », ajoute Simon Décary, qui œuvre à la mise en place d’un modèle de soins pour la prise en charge des personnes souffrant d’affections chroniques post-infectieuses, dont la COVID longue, mais aussi la maladie de Lyme dite chronique.

Considérant que chaque nouvelle vague de COVID-19 fera émerger de nouveaux cas de COVID longue, dont potentiellement 50 % des personnes atteintes auront des symptômes persistant plus de 2 ans, Simon Décary et la Dre Bhéreur insistent sur l’importance de poursuivre le travail de sensibilisation, tant auprès de la communauté médicale que de la population, afin de ne pas aggraver des situations déjà extrêmement difficiles pour les personnes atteintes.

Un programme de formation continue sera d’ailleurs offert sans frais aux médecins qui souhaitent être mieux outillés, tant en matière de diagnostic que d’accompagnement de leur patientèle.

Prévention, prévention, prévention

Enfin, comme il est de plus en plus démontré que le cumul d’épisodes de COVID-19 augmente le risque de COVID longue et peut mener à la détérioration de l’état des personnes déjà atteintes, Simon Décary et la Dre Anne Bhéreur rappellent l’importance de la prévention.

Le virus responsable de la COVID-19 se transmet surtout par les particules virales qui restent en suspension dans l'air une fois émises par des personnes infectées, particulièrement à une courte distance et à l'intérieur. La transmission par le contact direct avec les sécrétions du nez ou de la bouche d’une personne infectée est aussi possible, mais de loin inférieure à la transmission aérienne.

Il est donc important de veiller à l’aération adéquate des espaces intérieurs, publics et privés. Le port du masque, en présence de symptômes respiratoires, est toujours indiqué pour protéger les autres, tout comme il est utile pour se protéger dans les lieux clos et achalandés. Enfin, le lavage fréquent des mains, une bonne habitude acquise durant la pandémie, peut également contribuer à limiter la propagation de nombreuses infections.

Ce sont là des gestes simples et à la portée de toutes et tous pour continuer à lutter contre la propagation de la COVID-19 et diminuer le risque de COVID longue, pouvant frapper n’importe qui et n’importe quand.

Bloc technique

Recherche et rédaction : CMQ

Révision scientifique : Anne Bhéreur, M. D., professeure adjointe de clinique, Département de médecine de famille et de médecine d’urgence, Faculté de médecine de l’Université de Montréal et Simon Décary, Ph. D., professeur et chercheur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke

Article publié le 12 novembre 2024