Un groupe de personnes écoutent des explications d'un formateur.

FBSCSS : l’élaboration d’une formation d’exception

Qu’est-ce qui a donné lieu à l’élaboration d’une telle formation? Comment et avec qui a-t-elle été créée? Quels défis ont dû être surmontés en cours de route? Comment sera-t-elle déployée et quels apprentissages en tirer?

À compter de septembre 2024, un incontournable atelier d’apprentissage sera proposé aux membres de l’ordre et aux personnes résidentes en médecine. À travers cette formation de base en sécurisation culturelle des soins de santé (FBSCSS), les iniquités pouvant donner lieu à des discriminations et des marginalisations dans les soins de santé seront examinées, afin de rétablir l’égalité de pouvoirs entre le corps médical et la patientèle et d’inscrire ainsi dans la continuité et la qualité les soins dispensés au Québec.

En quête de réponses à ces questions, nous nous sommes rendus dans les coulisses de la FBSCSS, en compagnie de celle qui a été chargée de piloter le projet, la Dre Nathalie Duchesne, radiologue, anthropologue médicale et médecin-conseil à la Direction générale du CMQ.

Pourquoi le CMQ souhaitait-il proposer une formation de base en sécurisation culturelle à ses médecins membres?

Depuis le début de son mandat, le président du Collège, le Dr Mauril Gaudreault – épaulé par le Conseil d’administration – désire accroître la responsabilité sociale des médecins en exercice. Et à la suite d’événements troublants survenus dans le système de santé québécois, un constat est devenu limpide pour le CMQ : de la discrimination existe et persiste dans le réseau et les soins de la santé, tant à l’endroit des personnes issues des Premiers Peuples que des personnes handicapées, âgées, neurodivergentes, LGBTQ2E+, racisées, en surpoids, etc. Nous devions non seulement admettre l’existence de tels problèmes, mais tenter d’y remédier avec humilité pour que les personnes marginalisées et discriminées puissent consulter sans peur et recevoir des soins de santé de qualité, en tout respect. Et aussi, pour que les soignants issus de ces communautés puissent exercer aisément. Comme des discriminations de toute nature y sont abordées, nous utilisons une approche novatrice : le concept de la sécurisation culturelle, développé par les Autochtones pour les Autochtones, est ici étendu à d’autres communautés discriminées en soins de santé.

Qu’est-ce qui a nourri la réflexion menant à la FBSCSS?

Pour que la formation s’arrime vraiment aux besoins, nous avons tenu à bien brosser le portrait de la situation sur le terrain. Pour ce faire, nous avons utilisé une méthodologie d’ethnographie rapide et misé sur une stratégie d’échantillonnage raisonné et en boule de neige (un individu interrogé en réfère un autre, etc.), jusqu’à saturation des données. Sur une période de six mois, je me suis entretenue avec une cinquantaine de personnes directement concernées par le sujet – patients et médecins – issues des 4 coins de la province et de tous les horizons. L’analyse qualitative des résultats de cette ethnographie a été croisée à celle d’un sondage mené auprès des membres de l’ordre professionnel. Nous avons ainsi réalisé qu’en général, la littéracie en matière de sécurisation culturelle était déficiente : la compréhension de la discrimination n’était pas uniforme, des biais implicites semblaient répandus et l’autocritique n’était pas au rendez-vous. Il convenait donc d’élaborer une formation de base en la matière, quitte à s’intéresser éventuellement davantage et plus en détail à d’autres éléments plus pointus.

Qu’est-ce qui a permis de donner toute sa légitimité à la formation?

À n’en pas douter, l’énoncé de reconnaissance territoriale et l’énoncé de position en matière d’ÉDI, dont s’est doté le Collège en 2023, ont constitué les éléments fondateurs de la formation. Au même titre que les prises de position du CMQ dans les médias, sa reconnaissance du Principe de Joyce, son témoignage auprès du comité des sages sur l’identité de genre et le mémoire déposé en commission parlementaire sur le projet de loi no 32 exhortant le gouvernement à reconnaître le racisme systémique.

En effet, pour espérer avancer vers la réconciliation et tendre vers une certaine réparation de toutes les formes de discrimination recensées dans le système de santé, il fallait que le CMQ reconnaisse d’emblée les origines patriarcales et occidentales de la médecine, de même que ses effets sur la construction du savoir et la dispense des soins, tant aux Autochtones qu’aux femmes, aux personnes trans, âgées, etc. Sans toute cette transparence, la FBSCSS serait bancale : cela lui donne un socle solidement ancré et permet de sous-tendre toute l’humilité inhérente à la démarche.

Quelle est l’approche pédagogique préconisée dans la FBSCSS?

Nous nous devions d’opter pour une approche anti-oppressive. Ainsi, la formation préconise l’humilité culturelle, la décolonisation (soit la valorisation des tous les savoirs – incluant ceux expérientiels et traditionnels – autres que seulement les savoirs empiriques de la médecine occidentale), et l’intersectionnalité, car une même personne présente plusieurs identités pouvant se potentialiser lors de discriminations. En somme, il s’agit d’une approche englobante et non traumatisante à laquelle nous avons recouru pour élaborer la formation et déterminer son contenu, et que nous utilisons aussi pour donner le cours. C’est d’ailleurs un cours qui se vit et auquel les personnes participantes n’assistent pas seulement passivement, d’un point de vue externe.

Qui a participé à l’élaboration de la formation du CMQ?

La formation a été construite grâce à l’apport d’un groupe de travail consultatif formé de 6 personnes expertes et provenant de communautés marginalisées et discriminées dans les soins de santé. Il était primordial, pour le CMQ, de valoriser leurs savoirs expérientiel et traditionnel. Les membres de ce groupe présentaient des identités variées : des Autochtones (3), une personne trans, une patiente partenaire et une personne racisée. Nos multiples rencontres ont permis de recenser – en collégialité – quantité d’éléments qu’il convenait d’enseigner et de le faire en tout respect, sans que qui que ce soit se sente instrumentalisé. Le groupe de travail nous a aussi permis de repérer des personnes formatrices – qui ont un imposant savoir objectif – pour arriver à dispenser avec doigté la FBSCSS aux médecins et aux résidents.

Pourquoi la formation a-t-elle fait l’objet d’un projet pilote avant son lancement?

Il convenait de valider son contenu et de prendre du recul pour asseoir notre humilité et le sérieux de notre démarche. Nous avons d’abord réalisé une trentaine de rencontres de validation avec une variété de personnes : individus discriminés, corps médical, bureau du Principe de Joyce, MSSS, CSSSPNQL, etc. Un essai pilote de la formation a aussi été mené auprès de 24 médecins, dont 5 Autochtones, 4 personnes représentant chaque faculté de médecine, le PAMQ, le CMQ, etc. Toutes ces validations nous ont permis de peaufiner tant le contenu que le contenant de la formation.

Quels sont les éléments facilitateurs à considérer par les gens intéressés à suivre la FBSCSS?

Nous avons mis sur pied un atelier de formation sécurisant et interactif, offert en distanciel. Pas besoin de se déplacer : on suit la formation à date fixe, mais dans le confort de son foyer. Et les groupes de 24 personnes sont à échelle humaine : ils favorisent les échanges, le partage d’expériences et le développement d’une réflexivité. Les exemples cliniques et sociaux sont nombreux et outillent de façon pratique les praticiennes et les praticiens. Puis, la segmentation en 3 parties (préparation personnelle, sécurisation des soins de santé dispensés aux personnes autochtones et sécurisation des soins de santé dispensés aux communautés marginalisées et discriminées) permet de bien assimiler l’information et d’optimiser les apprentissages.

Au terme de cette formation, quels apprentissages devraient avoir faits les médecins et résidents qui s’y sont inscrits?

Pour faire évoluer la pensée et les façons de faire en médecine, il faut que les personnes soignantes développent leur humilité culturelle. Et la FBSCSS, je crois, peut les y amener. Elles seront aussi à même de se questionner sur l’origine de leurs biais en matière de soins de santé, de réaliser leurs privilèges et de prendre conscience de tout ce qui a été construit sur des normes sociales ancrées dans le patriarcat et l’occidentalité. Car sitôt qu’on laisse entrer l’humilité, on ne peut plus lui refermer la porte : notre sensibilité est aiguisée et notre ouverture aux autres est rehaussée.

La FBSCSS sera-t-elle appelée à évoluer au fil du temps?

Tout à fait! La formation est jumelée à une plateforme Web – hébergée dans le site du Collège – qui compte une boîte à outils regorgeant de documents d’appoint (lectures, balados, etc.) et faisant référence à des formations reconnues plus ciblées, qui permettront aux personnes participantes de cheminer en continu. Tout ce contenu est en constante évolution et est sans cesse bonifié : environ une fois par mois, de nouveaux éléments y sont déposés! La formation elle-même sera aussi modulée au gré de l’évolution sociale, dans l’espoir qu’un jour, ses principes soient rendus si évidents qu’ils fassent partie intégrante de l’exercice de tout médecin. Nous serons peut-être aussi amenés à proposer aux membres de l’ordre des modules plus pointus et personnalisés, pour bonifier cette formation de base, en fonction des traumas et du vécu spécifiques des différentes communautés par exemple.

Conclusion

Plus d’informations sur la FBSCSS se trouvent dans cette page Web dédiée. Nous rappelons aux médecins qui souhaitent s’y inscrire de se brancher pour ce faire dans Formation M.D. à la section sécurisée du site Web. Les personnes qui effectuent leur résidence en médecine au Québec doivent, pour leur part, signifier leur intérêt par courriel à ateliers@cmq.org.