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Sécurisation culturelle et soins de santé - Rebâtir la confiance

Actualités

29/09/2023

Le CMQ souhaite travailler, main dans la main et en toute humilité, avec les Autochtones afin qu’ils se sentent à l’aise de consulter et soient soignés avec respect. À l’occasion de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, et puisque l’information pave la voie à la réconciliation, nous vous proposons ce reportage sur la sécurisation culturelle. Comment rétablir le lien de confiance effrité par le racisme et la discrimination systémiques dans le réseau de la santé? Nous avons exploré quelques pistes.

Visuel d'une tranche d'arbre

La discrimination et le racisme sont malheureusement toujours présents dans notre réseau de la santé. Cette réalité ne date pas d’hier, mais on la dénonce davantage aujourd’hui. Haut et fort. De plus en plus, on évoque la « sécurisation culturelle » comme une voie d’avenir pour rétablir le lien de confiance entre le milieu médical et certains groupes, notamment les communautés autochtones. Mais par où commencer? Coup d’œil sur un enjeu qui mobilise le Collège des médecins.

Le racisme systémique envers les Autochtones, d’hier à aujourd’hui

Au Canada, on ne peut évoquer le racisme systémique sans parler des communautés autochtones. Pendant près de deux siècles, diverses mesures mises en place par les gouvernements ont engendré de la discrimination à l’égard des Premiers Peuples. Que l’on pense au déplacement forcé de certaines populations, à la création de réserves ou à la mise en place de pensionnats, ces mesures ont laissé de profondes séquelles qui se répercutent encore aujourd’hui sur les conditions de vie et la santé des Autochtones. Malgré le chemin parcouru dans notre société pour tenter de corriger les erreurs du passé, les plaies mettront du temps, des générations, à guérir.

Des iniquités chiffrées

8,8 ans

C’est l’écart entre l’espérance de vie dans le Nord-du-Québec (73,8 ans), comptant une importante population autochtone, et celle pour l’ensemble du Québec (82,6 ans)1.

300 fois

Le taux de tuberculose chez les Inuit est 300 fois plus élevé que celui des personnes non autochtones nées au Canada2.

26

C’est le nombre de communautés autochtones qui n’ont toujours pas accès à de l’eau potable au pays3.

Qui plus est, certaines pratiques racistes, colonialistes et discriminatoires perdurent dans le réseau de la santé et des services sociaux. Le décès de Joyce Echaquan, survenu le 28 septembre 2020, en est un exemple récent… celui d’un racisme brutal vécu dans un contexte de soins, se traduisant par des actes de violence et de dénigrement.

Or, la discrimination prend parfois des formes plus subtiles. Dans certains cas, en raison d’idées préconçues à l’égard d’une communauté, le personnel soignant sera porté à agir différemment ou à formuler des hypothèses erronées. Voici quelques exemples reflétant des préjugés tenaces envers les patients issus de communautés autochtones4:

  • Ne pas prescrire d’analgésiques à un patient afin d’éviter qu’il développe une dépendance ;
  • Maintenir une mère et son nouveau-né plus longtemps à l’hôpital, sans raison valable, dans le but d’évaluer la capacité de la patiente à prendre soin de l’enfant ;
  • Exclure un membre de la famille de la planification des soins et des services, sous prétexte qu’il ne comprendrait pas.

Ces biais culturels ne sont pas sans conséquences. Certaines personnes en viennent à éviter de fréquenter les milieux de soins, par crainte du jugement ou de mauvais traitements.

Contribuer au rapprochement

Le Collège des médecins du Québec (CMQ) souhaite faire partie du changement. Tous les Québécois et les Québécoises doivent avoir accès à des soins de qualité. Le CMQ a d’ailleurs été l’une des premières organisations à reconnaître en 2021 le Principe de Joyce, aux côtés de la Nation Atikamekw. Plusieurs actions ont été posées au cours des dernières années pour contribuer au rapprochement entre les cultures et lutter contre les inégalités de pouvoir présentes dans les soins de santé.

Le CMQ et la lutte aux inégalités envers les Autochtones – quelques repères

2020

  • Participation aux rencontres du gouvernement fédéral sur le racisme dans les soins de santé.

2021

  • Reconnaissance du Principe de Joyce, qui vise à garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle.
  • Signature de la Déclaration sur le racisme dirigé contre les Autochtones de la Fédération des ordres des médecins du Canada (FOMC).

2022

  • Co-organisation du Congrès annuel de la FOMC, portant sur le racisme systémique envers les Autochtones.
  • Mise sur pied d’un groupe de réflexion sur les interruptions de grossesse et les stérilisations imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit au Québec.

2023

  • Adoption d’un énoncé de reconnaissance territoriale et d’un énoncé de position sur l’équité, la diversité et l’inclusion dans les soins de santé.
  • Création d’un groupe de travail consultatif, composé de membres de communautés opprimées, pour la mise sur pied d’une formation de base en sécurisation culturelle des soins de santé.

Stérilisations non consenties : brisons le silence!

En novembre 2022, la publication d’un rapport de recherche relatant plusieurs cas de stérilisations et d’interruptions de grossesse imposées aux femmes des Premières Nations et Inuit, ici même au Québec entre 1980 et 2019, a créé une véritable onde de choc5. Les témoignages contenus dans ce rapport sont tout aussi bouleversants qu’inacceptables.

Le Dr Mauril Gaudreault, président du CMQ, a vivement dénoncé dans une lettre ouverte certaines pratiques relatées dans ce rapport, et a rappelé l’importance du consentement libre et éclairé lors de toute intervention médicale. Rapidement, un groupe de réflexion du Conseil d’administration fut mis sur pied, auquel participent plusieurs intervenants, dont la professeure Suzy Basile, auteure principale du rapport. Le groupe est à mettre en œuvre des solutions concrètes, en collaboration étroite avec les Premières Nations. Le CMQ souhaite notamment mieux accompagner les patientes autochtones qui souhaiteraient signaler un comportement inadéquat de la part d’un médecin. Voilà un exemple parmi de nombreuses pistes d’actions envisagées, dans une démarche de sécurisation culturelle.

Vous avez dit « sécurisation culturelle »?

La sécurisation culturelle6 s’intéresse aux différentes facettes de la société qui peuvent influencer le bien-être ou le mal-être d‘une personne. Cette approche vise à rétablir les inégalités de pouvoir observées entre les soignants et les patients. C’est d’ailleurs à ces derniers qu’il appartient alors de déterminer si une rencontre est sécurisante ou non. Tout un renversement de perspective…

Cette démarche amène les soignants à prendre conscience des structures qui engendrent des inégalités : les relations de pouvoir, la marginalisation de certains groupes, les biais culturels et le racisme, par exemple.

La sécurisation culturelle ne concerne pas uniquement les personnes autochtones. Elle englobe plus largement tous les patients ou groupes qui vivent une forme d’oppression, que ce soit en raison de leur genre, leur âge, leur culture, leurs croyances, leur orientation sexuelle, etc. D’ailleurs, les soignants eux-mêmes peuvent être stigmatisés dans le réseau de la santé, pour différentes raisons (trouble de santé mentale, origine, statut professionnel, etc.). De plus, divers volets de l’identité d’une même personne (ex. : être femme, être âgée, être d’origine autochtone) peuvent engendrer une accumulation de formes d’oppression dont les effets se trouveront mutuellement influencés et décuplés. C’est ce qu’on appelle « l’intersectionnalité ».

En guise de point de départ d’une démarche de sécurisation culturelle, chaque acteur du système de santé et des services sociaux est invité à s’interroger sur ses croyances et connaissances. Il s’agit d’une étape fondamentale, faisant appel à l’humilité, afin d’intervenir de manière plus pertinente et de contrer les inégalités.

La reconnaissance territoriale

Au cours des dernières années, le CMQ a entrepris une démarche qui a mené à l’adoption d’un énoncé de reconnaissance territoriale. Cet énoncé est désormais prononcé au début de certains événements et réunions, et cité dans des publications. Il vise à reconnaître les nombreux impacts du colonialisme d’occupation sur la réalité passée, présente et future des peuples autochtones.

Dans cet énoncé, le CMQ reconnaît explicitement la valeur, pour les Autochtones, du territoire sur lequel se trouvent ses bureaux, mais il va plus loin en établissant aussi un lien entre l’environnement et la santé. C’est une façon d’ouvrir le dialogue et de reconnaître l’importance du rapport à l'environnement pour ces peuples.

« Reconnaissant les faits historiques et culturels, le Collège des médecins du Québec souligne que ses bureaux sont situés sur un lieu de rencontres et d’échanges entre les peuples autochtones. Le Collège s’engage à saisir les opportunités de rapprochement avec tous les peuples autochtones pour favoriser un enrichissement réciproque et un meilleur équilibre entre l’environnement et la santé. »
Énoncé de reconnaissance territoriale du Collège des médecins du Québec

Des soins sécurisants pour toutes et tous

Après l’adoption de son énoncé de reconnaissance territoriale, le CMQ a franchi un pas de plus en élaborant un énoncé de position sur l’équité, la diversité et l’inclusion dans les soins de santé. C’est une nouvelle étape, qui confirme de façon encore plus explicite son engagement à lutter contre le racisme systémique et l’oppression sous toutes ses formes. Cet énoncé constitue un geste symbolique fort, qui permettra la cocréation de nouvelles pratiques médicales plus respectueuses pour toutes et tous.

« Le Collège des médecins du Québec reconnaît que les origines culturelles, occidentales et patriarcales de la médecine au Québec peuvent être responsables de biais dans la construction du réseau de la santé et des services sociaux, des structures de soins et de l’exercice de la médecine.

Conséquemment, le Collège confirme son engagement à lutter contre le racisme systémique et contre tout système et toute structure qui reproduisent des oppressions et créent des inégalités de pouvoir envers la population et au sein de l’équipe soignante et du personnel médical. »

— Énoncé de position du Collège des médecins du Québec

Bientôt une formation pour tous les médecins

Le CMQ a mis sur pied un groupe de travail consultatif, composé paritairement de membres de communautés opprimées, qui s’affaire à cocréer une formation de base en sécurisation culturelle des soins de santé. Offerte aux 25 000 médecins du Québec dès 2024, cette formation abordera la question du racisme et du colonialisme à l’égard des Autochtones, et plus largement toutes les formes d’oppression envers différentes communautés.

De plus, la formation ALDO-Québec, destinée aux futurs diplômés en médecine au Québec, sera actualisée et inclura désormais un volet « Responsabilité sociale ». On y traitera d’humilité culturelle, de pratiques sensibles aux traumatismes et de sécurisation culturelle, en plus de s’intéresser aux enjeux de santé planétaire.

C’est par l’éducation et la sensibilisation que les mentalités continueront d’évoluer. Pour qu’enfin, d’une même voix, on puisse dire : « Plus jamais! »

Le CMQ se positionne sur le projet de loi no 32

Prônant un virage vers des soins de santé plus inclusifs, le CMQ s’est récemment prononcé sur le projet de loi no 32, portant sur la sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux. Saluant d’emblée cette démarche du gouvernement québécois, qui rejoint d’ailleurs la mission de protection du public de l’ordre professionnel, le CMQ a rappelé l’importance pour le gouvernement de reconnaître d’abord l’existence du racisme systémique dans le milieu de la santé, de même que le Principe de Joyce, afin de garantir à tous les Autochtones un accès équitable à des soins de qualité.

De plus, le CMQ estime que la sécurisation culturelle doit englober toutes les clientèles fragilisées, dont les Autochtones, et que la future loi doit être corédigée avec les minorités concernées. Cette notion de cocréation doit s’inscrire dans toutes les étapes de la démarche. « Il est important que le gouvernement cesse de présumer de ce qui est approprié et sécurisant pour les Autochtones et les minorités fragilisées », a déclaré le Dr Gaudreault.

Rappelant les constats dressés par le président le printemps dernier à la suite d’un séjour au Nunavik dans le cadre de sa tournée des pôles en santé, le CMQ a réitéré sa grande préoccupation quant à l’offre de soins et de services dans cette région éloignée. Il recommande que le projet de loi englobe l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux et qu’il couvre autant la santé physique que la santé mentale. Pour en savoir davantage, consultez le mémoire du CMQ, accessible en ligne.

Mémoire sur le projet de loi no 32

1 Institut de la Statistique du Québec, « Espérance de vie à la naissance selon le sexe, régions administratives du Québec, 1995-1997 à 2020-2022 », page mise à jour le 24 mai 2023.

2 Il s’agit des Inuit de l’Inuit-Nunangat. Gouvernement du Canada, « La tuberculose dans les communautés autochtones », page mise à jour le 25 février 2020

3 Donnée tirée du site du Gouvernement du Canada, « Lever les avis à long terme concernant la qualité de l’eau potable », page consultée le 7 juillet 2023.

4 Exemples tirés d’une étude du Conseil canadien de la santé (2012). Empathie, dignité et respect : créer la sécurisation culturelle pour les Autochtones dans les systèmes de santé en milieu urbain, p. 8-9.

5 Suzy Basile et Patricia Bouchard (2022). Consentement libre et éclairé et les stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, rapport de recherche, Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, 76 p.

6 Cette approche a été introduite dans les années 1990 par Irihapeti Ramsden, une infirmière maorie de Nouvelle‑Zélande, en réponse aux inégalités vécues par son peuple en matière de santé.

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